En juin dernier, nous avons publié cet article qui exposait  les liens qu’entretient l'université de Mons (UMONS) avec des fabricants d’armes, ainsi que des mensonges de l’équipe rectorale qui affirmait se trouver à l’avant-garde de la prise de distance avec les autorités génocidaires. Rappelons que, selon la légende officielle, les étudiants montois n’avaient même pas eu à réclamer que leur université cesse de maintenir des liens avec Israël : l’institution avait pris les devants et avait dénoncé la colonisation ! Cette stratégie avait si bien fonctionné que certains militants pourtant très actifs avaient été surpris du contenu de notre article de juin. L’UMONS s’est fait une spécialité de naviguer dans cette ambiguïté.

Le 23 octobre, une journée nationale de grève étudiante pour la Palestine était organisée. À Mons, nos camarades du cercle étudiant Révolution ont pris une part active dans l’occupation des locaux et dans les prises de parole. Cette action a donné lieu à deux réponses de l’équipe rectorale montoise : un e-mail, envoyé la veille, à toute la communauté de l’UMONS, et un échange sur place avec le recteur Philippe Dubois, dont les arguments ne constituaient qu’une version plus émotive du contenu du message de la veille.

 Voici un court extrait de l’e-mail du 22 octobre :

 « Plus spécifiquement au sujet des liens avec Thales, 3 collaborations nous lient effectivement avec l’entreprise, mais celles-ci n’ont jamais porté sur le domaine de la défense ou de l’armement, mais bien sur le seul et unique domaine du spatial, via Thales Alenia Space. L’UMONS ne collabore qu’avec les entités civiles, dans des projets civils. »

qui fait très fortement écho la mise en garde de notre article de juin où nous écrivions :

 « L’UMONS risque certainement de se défendre de ses accusations en appuyant le fait que les contrats de recherche sont avant tout liés aux applications civiles, mais cette fausse naïveté cache mal les enjeux bien réels et “duals”(1) de l’aboutissement de ces recherches. »

Sur ce point, l’UMONS a échoué à répondre de manière pertinente : le soutien à des filiales « civiles » d’entreprises qui fabriquent par ailleurs des armes servant à effectuer un génocide ne saurait convaincre quiconque prend au sérieux le slogan Stop Funding Genocide.

Derrière la langue de bois, les poignées de main et la signature de textes appelant à la fin des massacres, l’UMONS accuse ses propres étudiants de manipuler les faits quand nous citons des groupes comme Multitel ou Materia Nova, sous prétexte qu’il s’agit « d’ASBL totalement autonomes de l’université, de centres de recherche indépendants dotés de leur propre gouvernance, avec leur propre CA respectif, auxquels l’université n’est représentée que par la présence de quelques administrateurs qui siègent à côté d’administrateurs industriels et du secteur public ». Il semble qu’une fois de plus, l’UMONS ignore le sens du mot « complicité ».

De plus, on ne peut nier que l’un des objectifs principaux de l’e-mail du 22/10 était de saboter le mouvement. Et il faut admettre que, dans une certaine mesure, cela a fonctionné : de nombreux étudiants qui soutiennent la cause ont, à la lecture de ce mail, décidé de ne pas participer à la grève, jugeant que le travail était fait et que les revendications du mouvement avaient été acceptées et appliquées par l’équipe rectorale.

« Nous respectons l’engagement des étudiants et favorisons les débats, mais nous souhaitons que cela s’effectue dans un cadre respectueux des faits. L’UMONS poursuivra toujours une recherche responsable, orientée vers l’humain, l’environnement et le bien commun, dans laquelle la clarté éthique reste et restera notre boussole. »

Les collaborations avec des semeurs de mort comme Safran et Thales (un géant de l’armement impliqué et inculpé dans de nombreuses affaires de corruption et de ventes d’armes illégales) échappent visiblement à cette boussole. Le respect des revendications étudiantes ne se fait pas sans insinuer qu’elles sont pourtant basées sur une manipulation des faits. Pourtant, les faits sont là : l’UMONS a bel et bien des collaborations avec des entreprises qui participent à des génocides (au Yémen, en Palestine…), ainsi que des liens avec des groupes dont la recherche sert directement à ces entreprises. Cela suffit amplement à utiliser le terme de « complicité ».

Ici, une question plus large se pose. Voulons-nous d’universités dont une des principales sources de financement privé provient de contrats avec des fabricants d’armes ? Voulons-nous que la recherche scientifique continue d’être utilisée pour que leurs guerres soient encore plus rentables et plus meurtrières ? Ou est-ce que nous voulons que la recherche serve les intérêts communs à tous les peuples et que les universités soient des lieux d’émancipation autant que d’apprentissage ?

Le mouvement de soutien à la Palestine doit s’étendre aux autres couches de la société, pour les mêmes raisons que la place des universités dans la société doit être discutée de l’extérieur : parce que ces questions nous concernent tous et ne se limitent pas aux étudiants. C’est aussi pour cette raison que les revendications des mouvements étudiants ne peuvent se limiter aux liens entre les universités et Israël. Comme nous l’avions dit dans notre lettre ouverte, les demandes des étudiants de l’UMONS n’ont aucune chance d’aboutir si aucun rapport de force n’est engagé, particulièrement quand de juteux contrats sont en jeu. Les autorités académiques pourront toujours se réfugier derrière l’une ou l’autre astuce pour minimiser leur implication dans la machine de guerre mondiale. Les autorités de l’UMONS pourront toujours se cacher derrière le fait qu’il y a pire ailleurs, que d’autres universités n’en font pas autant, que cette université à échelle humaine — cette grande famille ! — respecte l’engagement de ses étudiants et les écoute, non sans les accuser publiquement de mentir pour autant.

Après l’action du 23 octobre, la position de l’Organisation Communiste Révolutionnaire reste la même : nous participerons à toutes les manifestations de soutien à la Palestine, et nous continuerons à argumenter en faveur de grèves, d’occupations et de blocages à plus large échelle à l’intérieur des mouvements étudiants. Cet épisode montois, loin de nous décourager, doit nous convaincre que nous avons touché un point important qui met les autorités académiques terriblement mal à l’aise : il faut continuer à exercer cette pression sur la hiérarchie universitaire !

Ces demandes d’ordre éthique et de transparence totale vont visiblement trouver d’autres utilités pour les étudiants, les chercheurs et le personnel des universités qui réclament que leur lieu de travail garde en son cœur les missions sociales qui sont censées être les siennes. Notamment car le gouvernement belge de droite ++ que nous avons actuellement envoie des signaux très suspicieux à celles-ci concernant la guerre.

Une bascule militariste s’opère dans les universités belges

Au même moment où des actions de protestation coordonnées nationalement ont lieu dans la plupart des universités belges pour contester ces partenariats et dénoncer le manque d’éthique de ceux-ci, 650 chercheurs et chercheuses de l’Université de Liège ont reçu un courriel leur demandant de lister leurs travaux qui pourraient intéresser la Défense…

Dans la même veine, à l’Université d’Anvers, une enquête sur la « recherche liée à la défense » a été diffusée en mai dernier dans le bulletin interne de certains départements. Cette enquête orientée tend à préparer les esprits à rendre la recherche militaire acceptable. Tout laisse à penser que ces questionnaires font partie d’une stratégie gouvernementale qui vise à forcer les universités à s’adapter au projet politique et de financement de l’Arizona, dans le but de normaliser, de banaliser, voire d’encourager la recherche militaire universitaire.

Des programmes d’enseignement ont déjà été « adaptés » de manière inquiétante dans certaines universités du pays. À Anvers et à Gand, des cours « soins de santé en temps de guerre » ont été ajoutés aux programmes médicaux de la formation en médecine. À Howest, à l’Université des Sciences Appliquées, une nouvelle option est en cours de création : la « Cyber Defense Factory » pour former de futurs étudiants à la cyberguerre. Pendant que de plus en plus de voix s’élèvent chez les étudiants et les chercheurs d’autres universités pour dénoncer des partenariats avec des académies militaires étrangères et/ou avec des entreprises d’armement, comme à Liège, à la VUB, à l’UMONS et ailleurs.

Pas plus tard qu’en 2024, du personnel de l’UMONS s’est impliqué dans un partenariat avec la défense belge jusqu’en 2027, via son École Royale Militaire, pour mettre au point des blindages intelligents via I.A. Ce projet est financé à hauteur de 2 millions d’euros. Dans la présentation de projet ANDORRA, on peut lire des choses comme :

« En outre, les retombées en termes d’activités et d’emplois pour toutes les parties concernées seront importantes. Les marchés de la sécurité (y compris les applications civiles) et de la Défense étant en pleine croissance dans le contexte actuel, seules les entreprises proposant des produits à forte valeur ajoutée pourront survivre. »

« Le projet générera des concepts originaux à proposer à des clients/partenaires, acteurs clés des secteurs de la Défense et de l’Aéronautique (General Atomics, Lockheed Martin, Airbus, Sabca, Asco Industries etc.).

L’Ecole Royale Militaire étendra ses connaissances dans le domaine des systèmes blindés aux composites et aux techniques de production actuellement non prises en considération pour la protection (balistique et autre). Ces connaissances lui permettront de renforcer son rôle d’expert clé en la matière pour la Défense belge.

L’Université de Mons accroîtra son expertise à la fois dans la collecte/centralisation de données et dans le développement de modèles d’IA qui peuvent être appliqués sur différentes variétés de données provenant de différents capteurs. »

Le dernier rapport des ONG belges sur la vente d’armes wallonnes explique, preuves à l’appui, que ces armes se sont retrouvées, sur tous les continents, dans des mains dans lesquelles elles n’auraient jamais dû finir. Loin de constituer un atout pour la « Défense », ces armes sont systématiquement exportées et employées pour opprimer. 

De plus, la « Défense », dans la bouche des politiciens capitalistes, n’est rien d’autre que le bon dos sur lequel ils comptent faire porter l’effort de guerre à leur jeunesse, comme l’a si fièrement rappelé le chef des armées français il y a quelques jours.

La jeunesse et la classe des travailleurs n’ont strictement aucun intérêt dans la guerre, et donc dans la recherche militaire, qui ne feront ensemble que semer la mort, le chaos social et la destruction du vivant, tout en polluant de manière exponentielle. Il est plus que temps de se mobiliser contre tout cela en faisant le lien entre la lutte contre l’austérité et pour résoudre les crises du système capitaliste, et la lutte d’opposition à la guerre, au militarisme et aux génocides en cours. Car c’est la même classe dirigeante qui nous conduit cette faillite, ce sont les mêmes belliqueux qui rêvent de prendre le pain des Européens pour à la place remplir leur estomac de plomb. Nous ne devons pas les laisser faire, sous aucun prétexte.

L’expropriation de ces grands groupes militaires, le contrôle démocratique de nos lieux de travail et d’étude ainsi qu’une transformation de la société, de l’enseignement, vers une société tournée vers l’humain, le social, l’entente et la solidarité internationale, sont en réalité la seule garantie de la prospérité de notre espèce sur le long terme. C’est à cette révolution sociale que nous devons préparer notre jeunesse, et certainement pas à aller trouver une mort précoce à l’autre bout du monde ! Guerre à la guerre ! Guerre aux milliardaires !

 

(1) Une technologie duale, ou technologie à double usage, est un bien, une technologie ou un logiciel qui peut servir à des fins civiles et militaires.