Sur le square de l'Aviation, à côté du Samu Social, 70 sans-papiers, dont 15 enfants, occupent un ancien bâtiment syndical depuis 5 mois. Cependant, le propriétaire de l'immeuble souhaite leur expulsion afin d'y aménager un hôtel. Par décision de justice, ils doivent partir. La police a déjà essayé à trois reprises d'expulser les sans-papiers, mais sans utiliser la force brute. Le collectif Zone Neutre a lancé un appel à l'aide. Ce vendredi 17 octobre, entre 7 h et 12 h, la police viendra une quatrième fois, bien qu'une solution de logement ait été trouvée pour les habitants dans deux mois à Ottignies. À 7 h du matin, nous étions 400 devant l'immeuble pour manifester contre l'expulsion. Il y avait une fanfare, un château gonflable et un petit-déjeuner.

Nous avons crié :

- Solidarité avec les sans-papiers !

- Nous sommes tous des descendants d’immigrés !

- On est là, même si la police ne veut pas, pour l’honneur des sans-papiers et pour un monde meilleur, on est là !

- À bas l’État, les flics et les proprios !

 

Vers 9h, le propriétaire arrive avec un huissier. Il reste à distance. À 9 h 30, deux policiers viennent discuter avec les manifestants. Ils nous demandent de partir, sinon ils emploieront la force. Plusieurs personnes les confrontent à l'absurdité de mettre à la rue des dizaines de personnes, dont des enfants. Ils répondent qu'ils n'aiment pas ça, mais que les ordres sont les ordres. Et ils nous reprochent d'être irresponsables, car nous nous mettons en danger, comme si c'était nous qui allions manier la matraque. Une partie des manifestants se disperse, mais environ 200, dont moi, commencent à se placer devant les trois portes de l'immeuble.

Vers 10 h 30, dix camions débarquent avec une centaine de robocops – surnom donné aux gros bras en armure, équipés de boucliers, de matraques, de casques et de bombes lacrymogènes. Ils avancent, mais avant de charger, tirent plusieurs fois au canon à eau. Inutile, notre formation est solide, elle ne tremble pas. Notre mur humain utilise une grande bâche pour amortir le choc. Ils vont devoir y aller au corps-à-corps. 

Les policiers nous entourent et nous chargent. Une lutte de pression, rappelant celles des batailles de l'Antiquité, s’installe. Chaque groupe pousse, essayant de tenir et de briser la formation adverse. Les policiers sont deux fois moins nombreux, mais beaucoup mieux équipés, entraînés, disciplinés, avec une chaîne de commandement. On entendait l'officier de police crier les ordres : « Poussez ! Reculez ! » Je suis au milieu, mon assise et celles des camarades rendent le passage impossible. Mais c’est par les flancs que des policiers arrivent à pénétrer notre formation. Une fois à l’intérieur, ils utilisent au maximum leurs grands aérosols. Les yeux brûlent, mais on peut continuer sans ses yeux ; on ressent l'ennemi à la pression qu'il exerce. Et on sent les bras de ses camarades autour de soi.

Mais lorsque de grandes quantités de gaz entrent dans les poumons, on tousse et on ne peut plus respirer. Sans air, on cède les uns après les autres. Il y avait tellement de gaz qu’on avait l’impression d’être dans un nuage blanc, une brume. Le pire reste à venir, car pour avoir osé se dresser contre la loi et l'ordre, il faut être puni. Il faut souffrir, être neutralisé. Vaincus, nous crions aux policiers qu’on se rend, qu'on abandonne. Le chef d’escouade s'avance et crie : « Poussez ! » Ils nous écrasent encore plus contre le mur. 

Après quelques coups, écrasements et séries de gaz lacrymogène, comme pour répondre, nous nous mettons tous à clamer des slogans et à chanter. 

Ensuite, ils sortent les militants un par un. Je me retrouve tiré, gazé de nouveau et projeté dans une flaque d’eau au sol. On me frappe. On me crie de me lever, on me frappe. Aveugle et toussant, je titube et progresse au hasard avant que des mains viennent m’accueillir ; c’étaient des camarades qui m’ont donné de l'eau et du sérum pour les yeux. Je me repose 200 mètres plus loin. 

Après 15 minutes, je peux ouvrir les yeux, suffisamment pour voir le huissier être exfiltré par la police. Dans son beau costume, suivi par trois ou quatre gros bras, il entre dans une voiture de police sous les huées et les insultes d'une centaine de personnes. Les policiers déplacent les camions et forment une barrière autour de la place, pour se cacher et protéger ce qui se passe.

Vers 11 h 30, les policiers entrent dans le bâtiment.

Le plus douloureux, ce n’est pas les coups, ce n’est pas le gaz, c’est de voir 70 personnes être chassées de leur foyer sans pouvoir rien faire, c'est de voir un mur de brutes détruire des vies pour le profit d’une seule personne qui n’en a pas besoin. 

Il n’y a pas plus légitime que la défense de sa maison contre ceux qui veulent vous la prendre.

Contrairement au gouvernement, nous pensons que tout humain a le droit d’avoir un chez-soi, et nous nous battrons pour cela.

Contrairement aux racistes, nous exigeons que tous les sans-papiers, tous les réfugiés, victimes des crimes impérialistes, aient un chez-eux où qu’ils soient, car il n’y a qu’une seule humanité.

Ouvrons les portes des 4 500 logements vides de Bruxelles ! Peu importe la perte des propriétaires, ils n’en ont que faire, car ils ont déjà un toit pour leur famille.


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