La gauche européenne se trouve en état de choc après la capitulation de Tsipras, Belgique incluse. Il faut dire qu’un parti en particulier, le PTB,  très actif dans la solidarité avec la Grèce, se présentait depuis des mois comme le Syriza de la mer du Nord. Le PS et le sp.a, de leur côté, se sont aussi fendus en déclarations de soutien à Syriza lors des élections du 25 janvier ou lors du référendum du 5 juillet contre le dictat de la Troïka. Cet accord sera analysé dans un autre article dans notre revue ; nous voulons ici surtout tirer quelques enseignements majeurs de la crise grecque pour la lutte contre le capitalisme.

DSCF3912« Le bras de fer qui a commencé ne peut se terminer que de deux manières : soit le gouvernement de Syriza capitule sous la pression, renonce à l’essentiel de ses réformes et sombre dans la « gestion » de la crise, soit il échappe au chantage en contre-attaquant de la seule façon possible, en nationalisant les banques et les grands groupes du pays, c’est-à-dire en mettant le socialisme à l’ordre du jour en Grèce. Pour les masses grecques, il n’y a aucune issue à l’enfer actuel sur la base du capitalisme. Les prochains mois en feront la démonstration. Les travailleurs exerceront une énorme pression sur la direction de Syriza dans un sens, les capitalistes dans l’autre sens. La position actuelle de Tsipras – la recherche d’un compromis satisfaisant tout le monde – s’avèrera intenable. Le mouvement ouvrier international devra soutenir de toutes ses forces l’effort des travailleurs grecs pour prendre leur destin en main. Et en Belgique comme ailleurs, la gauche et le mouvement syndical devront aussi tirer pour eux-mêmes les leçons de l’expérience grecque en matière de programme et de stratégie. » (Révolution, 8 janvier 2015).

Ces phrases datent de quelques semaines avant la victoire historique de Syriza lors du scrutin du 25 janvier.  Si nous les reproduisons dans cet article ce n’est pas par satisfaction mal placée. Nous le faisons pour souligner que la capitulation de Tsipras était non seulement prévisible, mais avait bel et bien été prévue ; à peine 7 mois plus tard, Tsipras signait un nouveau Mémorandum, la troisième édition d’un accord draconien d’austérité conclu avec la Troïka. Ce fut le point final d’un bras de fer avec les ‘institutions’, de longs mois de chantage économique et financier et de retraites ‘tactiques’ du gouvernement grec. Mais cet accord a été avant tout une véritable humiliation pour la population grecque qui n’en a cru ni ses yeux ni ses oreilles. Cette incrédulité a rapidement fait place à la colère et à l’amertume ; la base de Syriza est maintenant sens dessus dessous.

La gauche européenne se trouve aussi en état de choc, Belgique incluse. Il faut dire qu’un parti en particulier, le PTB,  très actif dans la solidarité avec la Grèce, se présentait depuis des mois comme le Syriza de la mer du Nord. Le PS et le sp.a, de leur côté, se sont aussi fendus en déclarations de soutien à Syriza lors des élections du 25 janvier ou lors du référendum du 5 juillet contre le dictat de la Troïka. Cet accord sera analysé dans un autre article dans notre revue ; nous voulons ici surtout tirer quelques enseignements majeurs de la crise grecque pour la lutte contre le capitalisme.

La faillite du réformisme

La principale raison de la capitulation de Tsipras ne se trouve pas dans une quelconque faiblesse de caractère. Il ne s’agit pas non plus d’une stratégie cachée du premier ministre. La raison est politique, c’est la faillite du réformisme de l’équipe autour de Tsipras.  Qu’entendons-nous par réformisme ? Le réformisme est le courant du mouvement ouvrier qui pense qu’il est possible d’obtenir des réformes sociales à l’intérieur même du capitalisme. Les réformistes s’imaginent une sorte de capitalisme sans austérité. Ils acceptent le capitalisme mais veulent le rendre plus humain, plus social. Un seul problème : si vous respectez les limites du capitalisme, tôt ou tard il faudra aussi vous plier aux lois de l’économie de marché. Le capitalisme vous pousse à devenir ‘gestionnaire’ du capitalisme, surtout dans une situation de crise organique du système comme on en connaît depuis 2008.

Malgré la dénomination ‘gauche radicale’, la direction et le programme de Syriza sont totalement réformistes. Il ne fait pas de doute que Tsipras, Varoufakis et d’autres désiraient sincèrement mettre fin à l’austérité en Grèce, mais dans leur aveuglement réformiste, ils ont cru cela possible en ‘négociant’ avec la Troïka.  Ils pensaient aussi pouvoir réaliser leur programme dans la cadre des institutions européennes. En appliquant des ‘tactiques intelligentes’ et en ‘manœuvrant’ ils espéraient pouvoir arracher des concessions à Merkel et aux capitalistes européens. La quête d’un ‘compromis honorable’ les a menés dans un cul-de-sac. Merkel, Schäuble et co  n’ont jamais été disposés à faire des concessions, cela était clair dès le début. Ils étaient déterminés à écraser le gouvernement de Syriza et ont utilisé tous les moyens à leur disposition : le sabotage économique et financier, la fuite des capitaux, la menace de fermeture des banques, etc.  Voilà de quoi ces gens sont capable ! Il s’agissait d’empêcher coûte que coûte qu’un gouvernement de gauche puisse rompre avec l’austérité en Europe. Même l’application ne serait-ce que d’un dixième du programme de Syriza ne serait pas tolérée.

Il n’y a, en réalité, jamais eu de négociations : ces rencontres s’apparentaient à de l’extorsion de la part des ‘institutions’. Tout recul de la part des négociateurs grecs était quant à lui honteusement recouvert du qualificatif ‘tactique’.

Cela a commencé avec le premier accord du 25 février, recul grec immédiatement interprété par la Troïka comme un signe de faiblesse.  En politique il en va comme dans les questions militaires : la faiblesse de l’adversaire invite à l’agression.  Les négociateurs se trouvaient dès lors sur une pente glissante qui les a menés à la capitulation humiliante du 13 juillet. Certes Tsipras y a été forcé. D’aucuns prétendent, à commencer par Tsipras lui-même, qu’il n’avait pas d’alternative. Cette affirmation ressemble trop au « There Is No Alternative (TINA) » que Margareth Thatcher aimait répéter. Mais si, il y avait une alternative ! Cependant Tsipras, en bon réformiste, s’est refusé à mettre en place ce qui aurait dépassé les frontières du capitalisme. 

Quelles mesures aurait-il pu prendre ? Cette question va être abordée en analysant également le programme de la ‘Plateforme de Gauche’ de Syriza.

Plan B et la question de l’euro

Le débat sur le maintien– ou non – dans la zone euro existe depuis longtemps au sein de la gauche européenne. La situation en Grèce l’a exacerbé. Or c’est un faux débat, une fausse alternative. Il n’y a pas de solution aux problèmes des masses grecques – et françaises, allemandes, etc. – sur la base du capitalisme, et ce, à l’intérieur comme à l’extérieur de la zone euro. Tous ceux qui affirment le contraire, qu’ils soient ou non partisans de l’euro, se trompent et trompent les travailleurs. Les dirigeants du PS,du sp.a et ceux de nos syndicats défendent l’idée d’une « Europe sociale » dans le cadre de l’UE – c’est-à-dire du capitalisme européen, car l’UE n’est rien d’autre que l’organisation de la domination du grand capital européen. Et puisqu’ils défendent le cadre capitaliste de l’UE, ils défendent aussi sa monnaie unique.

Or précisément, la réalisation du véritable mandat de Tsipras est impossible sur la base du capitalisme, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la zone euro. Les travailleurs grecs, comme ceux de toute l’Europe, sont  parfaitement capables de le comprendre. Encore faut-il qu’on le leur explique. C’est tout le problème. La position des partisans d’une « sortie de la zone euro » et d’une « rupture avec l’UE »– sur la base du capitalisme – n’est pas plus crédible que celle des dirigeants de Syriza ou du PS et du sp.a. Ils vantent simplement les mérites du choléra sur la peste, au lieu du contraire. Ils nous répondront : « Non, ce ne serait pas le choléra ; ce ne serait pas la catastrophe annoncée ; un Grexit permettrait de sortir la Grèce de la crise » – et ainsi de suite. Ce point de vue est notamment celui des dirigeants de la « Plateforme de gauche », la principale opposition interne de Syriza. Dans un récent discours, le député de Syriza Costas Lapavitsas, qui est l’un des économistes de la Plateforme de gauche, proposait de rompre l’accord de Bruxelles, de répudier la dette, de nationaliser les banques, de mettre en place un véritable contrôle des capitaux, de mener une politique d’investissements publics et de sortir de la zone euro – le tout dans l’objectif de régénérer le capitalisme grec, qui, selon son hypothèse, resterait dans l’UE. Lapavitsas prévoit alors que la nouvelle monnaie nationale serait dévaluée de seulement 15 à 20 % et que l’économie du pays traverserait six mois de récession – puis, après 12 à 18 mois de stabilisation, entrerait dans « une période de croissance rapide et soutenue ». Cette perspective n’est pas sérieuse. Un Grexit se solderait immédiatement par une fuite des capitaux, une grève des investissements et des mesures protectionnistes à l’encontre des exportations grecques dans l’UE. La Grèce serait de facto expulsée du « marché commun », donc de l’UE. Les capitalistes européens ne resteraient pas les bras croisés pendant que les marchandises grecques se déverseraient sur les marchés de l’UE grâce à une dévaluation de la monnaie nationale grecque. Dans ce contexte, comment le gouvernement grec se financerait- il ? Comment financerait-il son programme d’investissements publics ? Comment les importations du pays seraient-elles réglées ? Qui voudrait acheter une monnaie nationale en chute libre ? Dès lors, la perspective d’une « croissance rapide et soutenue » de l’économie grecque est complètement fantaisiste – a fortiori dans un contexte de crise organique du capitalisme mondial. Lapavitsas écarte – lui aussi – l’idée d’une rupture socialiste avec le capitalisme grec. Les « conditions » n’en seraient pas réunies, explique-t-il. C’est faux ! Si le référendum du 5 juillet a confirmé une chose, c’est bien la détermination du peuple grec à lutter. Les immenses rassemblements en faveur du « non » étaient animés d’un enthousiasme révolutionnaire évident. Le rapport de force entre les classes est très favorable à des mesures décisives contre le capitalisme grec. De telles mesures – à commencer par la nationalisation des banques et des grands groupes capitalistes – susciteraient l’enthousiasme de millions de travailleurs grecs, qui les soutiendraient de toutes leurs forces. Bien sûr, une telle politique signifierait une sortie de facto de la Grèce de la zone euro et de l’UE. Les capitalistes européens feraient tout pour miner l’économie et le gouvernement grecs. Le pays serait soumis à un embargo. Mais la solution viendrait d’un développement de la révolution socialiste sur le reste du continent européen. Une révolution socialiste en Grèce provoquerait une puissante vague d’enthousiasme sur tout le continent. Ce serait le premier pas en direction d’une Fédération des Etats Socialistes d’Europe, seule alternative viable à l’UE capitaliste. Face à un plan B nous proposons un plan S,  S pour socialisme.

La dictature européenne

Contrairement à la fable largement répandue,  l’Union Européenne n’est pas un lieu de coopération, de solidarité et d’entraide entre les pays du continent.  L’UE est une institution antidémocratique et capitaliste à souhait, un rouleau compresseur asocial aux mains des lobbys économiques et financiers. Dans ce cadre il n’existe pas de marge pour une Europe ‘sociale’ dont rêvent encore nos syndicats et les partis socialistes. Le mythe de la démocratie européenne s’évapore devant les yeux des millions d’Européens.

Deux exemples pour illustrer notre conviction. Lors d’une réunion de l’Eurogroupe, aux dires de Yanis Varoufakis, le ministre des finances allemand Wolfgang Schäuble a lâché: “On ne peut pas laisser des élections changer quoi que ce soit”.

Et à propos de l’Eurogroupe, Yanis Faroufakis déclare : « … il  a tous les pouvoirs et les pleins pouvoirs. Il  n’existe pas légalement, donc il fait ce qu’il veut. Aucun traité ne prévoit son existence. Il est en dehors des lois. L’Eurogroupe qui régit la vie des citoyens n’existe pas, il n’est responsable devant personne, n’a pas de comptes à rendre, il n’y a aucune minute des réunions qui soit tenue. Donc les citoyens ne peuvent savoir ce qui s’y dit. Il a le pouvoir de vie et de mort sans avoir à en répondre. » (1)

Le capital allemand décide dans l’EU

Il fut en temps où on pensait que l’Europe se construisait autour de franco-allemand. En réalité c’est l’Allemagne qui domine l’UE. Depuis l’unification qui a suivi la chute du Mur, l’Allemagne est devenue une grande puissance financière et économique au cœur de l’Europe.  Ce que l’Allemagne n’a pu réussir avec la force des armes durant la première et la Seconde Guerre mondiale elle l’a obtenue avec des moyens économiques. La coopération entre la France et l’Allemagne ne se fait pas entre partenaires égaux. Juste après son élection à la présidence de la France, le socialiste François Hollande s’imaginait pouvoir obtenir une marge financière de son voisin allemand. La réponse était claire : Nein. Au sein de l’UE, le capital allemand se comporte comme le pire des usuriers :‘Si vous ne pouvez payer vos dettes, nous vendrons votre mobilier. Si vos meubles ne rapportent pas assez on vous éjectera de votre logement’.

Donnons encore la parole à l’ancien ministre grec des finances.  L'Eurogroupe est « complètement, totalement » dominé par Schäuble son homologue allemand : « C'est comme un orchestre extrêmement bien dirigé, dont il serait le chef », raconte-Yanis Varoufakis. « Sa position consistait à dire ‘je ne rediscuterai pas le programme d'aide accepté par le précédent gouvernement. Nous ne pouvons permettre qu'une élection y change quoi que ce soit'. Donc je répondais: ‘peut-être que nous devrions simplement ne plus organiser d'élections dans les pays endettés?' Et je n'avais pas de réponse. […]Il n'y a que le ministre des Finances français (Michel Sapin, ndlr) qui émettait une tonalité différente de la ligne allemande, et c'était très subtil». Tous les autres gouvernements se comportaient comme les petits caniches de l’Allemagne, Belgique comprise.

La démocratie est une fiction

En réalité, le suffrage universel n’existe que sur papier. Le suffrage pluriel et censitaire est toujours de mise. La ‘voix’ des détenteurs de capitaux est décisive dans les décisions politiques importantes. A quoi servent les élections parlementaires ou les référendums si le pouvoir populaire peut être annulé par un seul trait de plume ? La voix d’un seul capitaliste pèse plus lourd que celles de millions de personnes ‘ordinaires’, la Grèce nous en a fait une éclairante démonstration. Syriza n’a pas été autorisé à appliquer le programme sur lequel il a été élu :c’est un véritable coup d’état financier.  Pire encore, suite à la pression économique et financière, Syriza met en œuvre le programme électoral des partis qui ont perdu les élections du 25 janvier. La démocratie qui s’arrête devant le mur de l’argent porte un nom : c’est une démocratie bourgeoise.  Votez pour qui ou pour quoi vous voulez, vous pouvez même protester si vous le désirez, mais en fin de compte ce sont les capitalistes qui auront le dernier mot. Derrière le décorum des institutions parlementaires se cache une dictature de l’argent.

Laboratoire

La Grèce est en laboratoire grandeur nature. Tous les programmes, toutes les stratégies politiques et les dirigeants politiques y sont soumis rapidement à l’épreuve de vérité. Ce ne sont pas tellement les politologues ou autres académiciens qui les jugeront, mais les masses grecques, et en particulier les travailleurs, les classes moyennes appauvries et les jeunes. Elles font comme Daniel dans la Bible et disent "Tu as été pesé dans la balance, et tu as été trouvé léger”. Les programmes de la gauche tout comme les programmes de la droite sont soumis à un tel exercice.  Incapables de répondre à l’urgente nécessité de mettre fin à l’austérité, ils seront jugés sans pitié et tôt ou tard jetés aux oubliettes. Un jour vous êtes un héros, le lendemain un traître, le surlendemain à nouveau un héros en puis à nouveau un traître.  Tsipras en a fait l’expérience. Mais ce ne sont pas seulement les programmes politiques grecs qui sont soumis à l’épreuve des masses.  Ce n’est pas la variante grecque du réformisme qui a fait faillite, mais le réformisme même dans toutes ses teintes.

Partout en Europe et dans le monde les gens cherchent une issue à la misère du capitalisme. C’est annonciateur de mouvements de masses sans pareil dans l’histoire de l’humanité.  Ces temps sont gros de crises prérévolutionnaires et révolutionnaires.  La solution réside dans le renversement de ce système. Nous sommes totalement d’accord avec Gino Russo, papa de la petite Mélissa Russo et aussi délégué syndical qui évoquait récemment la situation politique. « Une Révolution ? Je ne pense pas qu’on en sortira autrement. Sinon, on va finir comme la Grèce. On ne doit pas regarder la Grèce comme un pays lointain, mais comme un miroir. » (2) 

(1)   New Statesman, 13 juillet 2015

(2)   La Libre, 26 juin 2015