Depuis le début de l’année, 17 féminicides (des meurtres de femmes parce qu’elles sont femmes) ont eu lieu en Belgique. Le dernier en date s’est produit le 24 octobre : une femme s’est fait poignarder en rue par son ex-mari. En 2019, ce chiffre s’élevait à 24, et en 2017 à 43[i]. Les agresseurs sont le plus souvent des (ex-) conjoints/partenaires des victimes. Mais ces féminicides ne sont que la partie émergée de l’iceberg qu’est le sexisme et ses conséquences, notamment les violences conjugales.

Chaque année, 45 000 plaintes pour violences conjugales sont enregistrées par les parquets, en sachant qu’elles sont loin d’être toujours dénoncées[ii].

La société actuelle baigne dans les violences sexistes et sexuelles. En Belgique, quatre plaintes pour viols sont enregistrées chaque jour, mais ce chiffre ne reflète pas la réalité. Il est très difficile de savoir quelle est l‘ampleur exacte de ces agressions, mais elle est très certainement bien supérieure aux nombres de plaintes. Selon Amnesty International, en 2014, en Belgique, 24,7% des femmes se sont fait imposer des relations sexuelles forcées par leur partenaire ou conjoint, 7% par un supérieur hiérarchique et 13% se sont fait violer par quelqu’un d’autre que leur partenaire[iii].

Cependant, si les victimes de violences sexuelles sont en très grande majorité des femmes, ce n’est pas toujours le cas. En effet, des hommes aussi peuvent en être victimes, et particulièrement lorsqu’ils sont mineurs ou LGBTI. Par exemple, en Belgique, 86% des viols recensés concernent des mineurs, et ils ont le plus souvent lieu dans les familles ou dans le cadre scolaire. Certaines études estiment qu’une femme sur 10 a subi un viol ou une tentative de viol avant ses 18 ans[iv].

Dans la plupart des cas (80%), les agresseurs sont connus des victimes ; dans 75% des cas, ils n’ont fait qu’une seule victime (iv). Ici, nous ne sous-entendons pas que tous les hommes sont des violeurs, mais nous cherchons surtout à montrer que les viols ne sont pas le fait de fous multirécidivistes cachés dans des ruelles sombres à attendre des victimes. Le viol est véritablement un phénomène de grande échelle ; victimes comme agresseurs se trouvent partout dans la société. C’est un phénomène social massif.

Néanmoins, les violences sexistes ne se limitent pas aux féminicides, aux viols et aux violences sexuelles. Le harcèlement sexiste, que ce soit dans la rue, au travail, ou à l’école, est omniprésent. Selon une enquête, 98% des femmes belges ont déjà été victimes de harcèlement de rue[v]. En Europe, 60% des femmes disent avoir déjà subi du sexisme au travail.

Cet article a pour objectif de comprendre d’un point de vue marxiste d’où viennent les violences sexistes, et comment les combattre.

Le capitalisme et la violence (en général)

Avant d’aborder pleinement notre sujet - les violences sexistes - il est important de comprendre pourquoi la société semble baigner dans la violence. Partout, les guerres, les violences, le terrorisme se développent.

La violence ne vient pas de nulle part, elle n’est pas non plus le résultat de la nature humaine. Elle ne peut être comprise qu’en lien avec la société dans laquelle elle se développe, c’est-à-dire, dans notre cas, la société de classe, et en particulier, la société capitaliste.

Du besoin matériel naissent le désespoir et la violence. Pour beaucoup de gens, le capitalisme ne signifie qu’une vie de misère sans fin. L’aliénation résultant de journées de travail écrasantes dans des conditions misérables produit des personnes terriblement dérangées. La concurrence entre les travailleurs pour avoir des moyens de vivre (un salaire, un logement,...) entraîne la division et la violence. Personne ne devrait être étonné que le capitalisme, un système d’exploitation et de violences systématiques, s’accompagne d’une culture de la violence.

La crise organique du capitalisme qui entraîne une instabilité économique, sociale et politique, oblige la bourgeoisie à se maintenir de plus en plus par une répression directe.

La violence domine toute la société. Cependant, elle peut prendre plusieurs formes, qui sont systémiques, notamment la violence sexiste et sexuelle.

Le statut des femmes dans les sociétés de classes

Pour combattre les violences sexistes, il faut d’abord en comprendre leurs causes. En tant que marxistes, nous avons une vision matérialiste du monde. Cela signifie que, selon nous, les idées ne viennent de nulle part, mais qu’elles ont une base matérielle. Nous pensons donc qu’il ne faut pas rechercher les causes de l’oppression des femmes dans les idées ou la religion, mais dans les rapports réels dans lesquels se trouvent les individus vivants.

Comme les chiffres plus haut le montrent, la majorité des violences sexistes et sexuelles ont lieu dans le cadre familial. Et en effet, l’oppression des femmes ne peut être comprise qu’en analysant la famille moderne et son rôle dans la société actuelle.

Bien que la famille n’existe pas depuis toujours, elle remonte à l’époque néolithique, c’est-à-dire à plusieurs millénaires. En fait, la famille apparaît avec l’apparition de l’agriculture et de l’élevage, et donc de la propriété privée et de la division de la société en classes.

La famille est le lieu de la reproduction de la force de travail et ce travail reproductif repose en grande majorité sur les épaules des femmes ; néanmoins, elles ne reçoivent aucun salaire en échange, et elles deviennent donc économiquement dépendantes de leur compagnon. Ce système s’entretient : les femmes gagnant généralement moins que leur compagnon, elles seront plus enclines à accepter des temps partiels ou des pauses carrières pour s’occuper des enfants et d’autres tâches domestiques pour limiter la diminution des revenus du foyer. L’idéologie dominante et la socialisation sexiste jouent aussi un rôle : Les parents ont tendance à offrir une poupée ou un jeu de cuisine à leur fille, et une boîte à outils en plastique à leur garçon. Autre exemple : une étude menée en 2008 sur 2000 publicités mettant en scène des femmes montre que plus de la moitié d’entre elles renvoient une image de la femme comme simple objet sexuel, et dans un peu moins de 10% des cas, une image de victime. Cette étude indique aussi que dans 73% des cas, une femme représentée en victime était également représentée en objet sexuel[vi].

En résumé, l’oppression des femmes est le résultat de ce travail domestique réalisé par les femmes et de la dépendance économique qui en résulte. Dans la société actuelle, les femmes ne sont considérées que comme des instruments de production.

Cependant, si la famille existe depuis des millénaires, elle n’est pas restée inchangée. Les bouleversements dans les modes de production ont entraîné des transformations profondes dans l’organisation familiale. Il n’existe pas de patriarcat transhistorique : le secret de l’organisation de la famille, et donc notamment du travail domestique, n’est pas à retrouver en elle, mais dans les rapports de production des sociétés qui se sont succédé.

Par exemple, l’introduction de la grande industrie, qui est le fruit du capitalisme, a bouleversé les rapports familiaux. Une grande partie de la production qui était initialement faite au sein famille a été prise en charge par cette grande industrie. Le travail domestique comporte aujourd’hui beaucoup moins de couture qu’au XVIIIe siècle, mais plus de visites chez le médecin, d’aides scolaires, de courses, etc.

Un autre exemple est celui de l’amélioration de la situation des femmes dans les pays européens d’après-guerre. Suite à la Seconde Guerre Mondiale, il y a eu un énorme boom économique, et les capitalistes avaient besoin d’autant de force de travail que possible. Et pour cela, les femmes devaient entrer dans la production. Les femmes gagnèrent une meilleure position dans l’économie, et donc une certaine indépendance économique vis-à-vis de leur compagnon.

L’évolution des rapports familiaux est aussi le résultat de la lutte des classes.

D’ailleurs, les rapports familiaux, contrairement aux rapports de classes, n’ont pas été vecteurs de changement. Le capitalisme littéralement a refait le paysage, produit des villes, engendré la grande industrie, etc. La famille n’a jamais joué un rôle semblable

Nous voyons donc que la famille en dernière analyse est subordonnée au mode de production et donc aux rapports et à la lutte de classes. Mais quelle est la nature de cette subordination?

Dans cet article, nous nous limiterons à expliquer ce lien dans la société moderne de classes, c’est-à-dire le capitalisme. Cependant, comme sous le capitalisme la société se divise en deux grandes classes, il y a des différences fondamentales entre les familles de bourgeois et les familles de prolétaires, bien qu’elles aient la même forme et qu’on retrouve dans les deux l’oppression des femmes.

Pour la classe dominante, et ceci est antérieur au capitalisme, il est nécessaire de s’assurer la filiation du père en vue de l’héritage. A cette fin, il faut contrôler la sexualité et le corps des femmes.

Les familles de travailleurs sont le lieu de reproduction de la force de travail pour chaque jour et pour chaque génération. Cette reproduction est fondamentale pour les capitalistes car elle leur assure d’avoir toujours de la main d'œuvre. Cependant, au sein de la famille, ce travail reproductif  n’est pas socialisé, et est majoritairement effectué par les femmes.

Mais aux yeux des travailleurs et des travailleuses, la famille est aussi un abri contre le capitalisme, elle reste absolument centrale pour des millions de personnes. Vivre en famille, au sein du système capitaliste, offre de bien meilleures chances économiques et psychologiques. Beaucoup mettent dans la famille leurs espoirs de relations réussies, y cherchent finalement de quoi remplacer ce qui a été détruit par l’exploitation et l’aliénation de la société capitaliste. Et c’est cette contradiction qui crée les tensions et les violences au sein de la famille, qui sont principalement faites aux femmes et aux enfants.

Cependant, les violences sexistes et sexuelles n’ont pas uniquement lieu dans le cadre familial ; on peut notamment penser aux femmes victimes de violences ou de harcèlement de la part de leur supérieur hiérarchique sur leur lieu de travail.

Le système capitaliste est un système basé sur la concurrence entre les entreprises, mais aussi entre les travailleurs, pour avoir un emploi, ou un meilleur poste au sein de l’entreprise. Et dans cette concurrence, les femmes, à cause de leur position sociale, sont des cibles faciles pour le harcèlement et la violence.

Cette situation est à l’avantage des patrons : une travailleuse n’ira pas demander une augmentation salariale si elle a peur de se retrouver seule avec son employeur. Et c’est ce que montrent plusieurs études : le harcèlement sexuel n’a pas pour objectif de répondre à un désir sexuel, mais plutôt de “remettre les femmes à leur place”[vii].

Si la concurrence entre les travailleurs les pousse à accepter des salaires moins élevés pour subvenir à leurs besoins, elle pousse les femmes à subir en silence le harcèlement et la violence sexistes.

Une société sans violence sexiste est-elle possible ?Pancarte STOP aux violence contre les femmes

La violence sexiste existe depuis tellement longtemps, et est si développée, que certaines personnes se demandent si une société sans violence sexiste est réellement possible.

Comme nous l’avons expliqué dans la section précédente, l’oppression des femmes est apparue avec le développement de la société de classes et de la famille comme cellule de la société. L’oppression des femmes n’a pas une cause naturelle, mais bien sociale. Les facteurs biologiques n’ont joué qu’un rôle secondaire. Autrement dit, une véritable émancipation des femmes et l’éradication des violences sexistes ne sont possibles que dans une société organisée sur d’autres bases sociales.

Comme nous l’avons expliqué précédemment, les bases sociales de l’oppression des femmes se trouvent dans la société de classes, et la famille, qui est son produit.

Seule une société débarrassée de l’exploitation, des classes, de la propriété privée et permettant le libre développement de chacun et chacune, pourra être libérée des violences sexistes et sexuelles.

Dans cette société, les tâches reproductives, qui sont aujourd’hui réalisées en majorité au sein de la famille, seraient socialisées, portées par l’ensemble de la société. Et cela pourrait se faire notamment par le développement de crèches publiques, de chaînes de restauration accessibles et de qualité, par des services de laveries publiques, etc.

Cependant, le seul groupe qui puisse renverser le capitalisme, et donc les bases de la famille moderne et oppressante, est le prolétariat, le salariat. C’est la seule classe qui, d’une part, n’a pas de lien avec la propriété privée lucrative, et qui, d’autre part, a tendance à se renforcer avec le développement du capitalisme.

Évidemment, une société où la propriété est socialisée ne signifie pas que l’oppression des femmes disparaîtra du jour au lendemain, mais seulement qu’on aura pleinement les moyens de l’éradiquer.

Au-delà de ça, la moitié des prolétaires sont des femmes, et celles-ci jouent souvent un rôle moteur dans les luttes, comme on l’a vu au Chili l’année passée. Peut-on penser que des millions de femmes qui auraient lutté contre le capitalisme, décideraient au bout de cette lutte de laisser intacte l’oppression des femmes ? Les premières années de la Russie soviétique sont un bon exemple de l’avancée dans la lutte antisexiste que permet une révolution sociale.

Comment combattre ces violences dans la société actuelle ?Stop violence contre les femmes Egalité

Beaucoup de personnes luttent ou souhaitent lutter contre les violences faites aux femmes. Après #metoo, de nombreuses femmes, mais aussi des hommes, sont descendues dans les rues du monde entier. Beaucoup de mouvements féministes se sont rapidement développés. Dans d’autres articles, nous avons expliqué les rapports généraux entre féminisme et marxisme. Nous nous concentrerons sur les méthodes de lutte marxistes contre les violences sexistes et sexuelles en les mettant en parallèle avec l’approche éducative et légaliste.

S’il est important d’aborder la question du consentement, de la sexualité, de la violence faite aux femmes et de l’égalité entre les hommes et les femmes dans le cursus scolaire, et plus généralement d’éduquer sur ces enjeux, nous pensons qu’il est illusoire de penser que  ceci suffira à combattre les violences sexistes et sexuelles.

Comme nous l’avons expliqué, les violences sexistes et sexuelles sont le résultat de l’organisation de la société, et pas simplement d’idées à combattre ou d’une méconnaissance des hommes sur la question du consentement. Les comportements sexistes ne sont pas le résultat d’une vision sexiste et sexualisante des femmes présente dans les médias, dans la pornographie, dans l’éducation, etc. Ils sont plutôt le résultat de l’inégalité réelle que subissent les femmes et de l’organisation familiale depuis des millénaires. Cette vision sexiste en est aussi le résultat.  

De même, si nous soutenons toute amélioration légale sur la question, nous sommes assez sceptiques sur ses effets. La loi est fondamentalement la loi de la classe dominante. Si des avancées peuvent être acquises, elles peuvent être aussi reprises. De plus, la seule réponse que les Etats capitalistes sont capables d’offrir est la prison (et ce déjà dans bien peu de cas) ; or celle-ci n’est absolument pas adéquate. D’une part, elle n'offre aucune solution à long terme contre les violences sexistes et sexuelles ; d’autre part, la prison est un lieu où il y a énormément de violences sexuelles.

Mais que proposons-nous ?

Tout d’abord, nous pensons que la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, pour se massifier et avoir une stratégie claire, doit s’organiser. Nous appelons donc à la création d’assemblées mixtes dans les lieux de travail, les écoles, les universités, les quartiers... pour discuter de la lutte et du problème de ces violences, en s’armant d’un programme de lutte, avec des revendications comme :

  • Fin des discriminations salariales
  • Individualisation des aides sociales au sein du couple et leur développement
  • Création massive de centres d’accueil pour les femmes victimes de violences, sous le contrôle des assemblées de quartier
  • Ces centres pourraient permettre de porter plainte sans passer par les commissariats, qui sont souvent humiliants
  • Création massive de centres pour les hommes violents, pour ainsi permettre - dans certains cas - aux femmes violentées de rester chez elles, sous le contrôle des assemblées de quartiers
  • Mise en place d’un plan de logement pour les femmes, sous le contrôle des assemblées
  • Refinancement massif et développement des services publics pour que ce soit la collectivité qui prenne en charge les tâches domestiques : crèches, buanderies, services de restauration,etc.

Pour imposer leurs décisions, ces assemblées démocratiquement organisées pourraient utiliser des moyens tels que la grève, en se liant notamment aux syndicats et partis de gauche. Cette grève doit évidemment être portée par les femmes, mais aussi par les hommes, ceux-ci ne devant pas jouer le rôle de briseur de grèves.

Ces assemblées pourraient aussi être chargées de déterminer les lieux d’agressions et d’organiser la sécurité à travers des comités de protection et d’autodéfense. Elles pourront aussi servir de tribunaux populaires lorsqu’un agresseur est trouvé, et décider de prendre contre lui des mesures pertinentes.

[i] https://stopfeminicide.blogspot.com/p/violences-machistes.html

[ii] https://www.amnesty.be/campagne/droits-femmes/les-violences-conjugales/article/chiffres-violence-conjugale

[iii] http://www.amnesty.be/IMG/pdf/infographie_violence-2.pdf?fbclid=IwAR2vOVDg4AnKzzKfI0c99TcSM-Y52C_pIfDLdkYo0YNW8TgF71sS2d99W0g

[iv] https://www.planningsfps.be/nos-dossiers-thematiques/dossier-violences-sexuelles/le-viol/#ftoc-heading-2

[v] https://www.lalibre.be/belgique/98-des-femmes-victimes-de-harcelement-de-rue-58b845e7cd708ea6c0efb33d

[vi] https://antisexisme.net/2012/03/08/les-mythes-sur-le-viol-dans-les-media/?fbclid=IwAR0sLE-22NmNTjDMduK-tE74fN5b10accRBmIVku726jVi2a3ObmOtQHWe4

[vii] voir notamment: https://www-2.rotman.utoronto.ca/facbios/file/Berdahl%20JAP%202007.pdf https://www.yalelawjournal.org/pdf/Schultz_f63u48az.pdf