La question de l'Etat a toujours été une question fondamentale pour les marxistes. C'est le thème central de certains textes les plus importants du marxisme comme l'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat par Frédéric Engels et le 18 Brumaire de Louis Bonaparte par Marx. Mais la meilleure explication de l'essence de la théorie marxiste de l'Etat se retrouve dans l'Etat et la Révolution de Lénine, un des écrits politiques les plus importants du 20ième siècle.

 

Ce pouvoir, issu de la société, mais qui se dresse au-dessus d'elle et s'en sépare de plus en plus, voilà ce que représente l'Etat. (Engels, L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat)

Le rôle de l'Etat

La question de l'Etat a toujours été une question fondamentale pour les marxistes. C'est le thème central de certains textes les plus importants du marxisme comme l'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat par Frédéric Engels et le 18 Brumaire de Louis Bonaparte par Marx. Mais la meilleure explication de l'essence de la théorie marxiste de l'Etat se retrouve dans l'Etat et la Révolution de Lénine, un des écrits politiques les plus importants du 20ième siècle.

Curieusement, la question de l'Etat, malgré son énorme importance, n'occupe pas l'attention des travailleurs, même les plus conscients. Ceci n'est pas un hasard. L'Etat n'aurait aucune utilité pour la classe dominante si les gens ne s'imaginaient pas qu'il s'agissait de quelque chose d'inoffensif, d'impartial et se trouvant au-dessus des intérêts de classe et des personnes ou quelque chose qui a « toujours existé ». En effet la classe dominante n'a aucun intérêt à attirer l'attention des masses sur ce que représente réellement cette institution. Toute discussion sérieuse à ce sujet est considérée comme inacceptable.

La constitution, la monarchie, la « Justice », toutes ces choses sont pratiquement tabous dans la politique du système qui se décrit comme une « démocratie ». L'Etat n'est-il pas donc « de tout un chacun » ?

Le Marxisme nous apprend que l'Etat, et à vrai dire toute forme d'Etat, est un instrument d'oppression d'une classe par une autre. L'Etat ne peut donc jamais être neutre. Dans le Manifeste du Parti Communiste, Marx et Engels expliquent déjà que le « gouvernement de l'Etat n'est pas plus qu'un conseil qui gère les affaires communes à toute la classe bourgeoise ». En effet, dans un régime de démocratie bourgeoise formelle, chacun peut dire (plus au moins) ce qu'il veut, mais en fin de compte se sont les banques et les grands monopoles qui décident de notre sort. En d'autres mots, la démocratie bourgeoise n'est qu'une forme d'expression de la dictature du grand Capital.

L'Etat est un instrument d'oppression, l'organe de domination d'une classe sur une autre. Un pouvoir, expliquait Engels, qui se dresse au-dessus de la société et qui a tendance à s'éloigner progressivement de celle-ci.

Historiquement, l'Etat est né suite à la division de la société en classes sociales antagonistes. Sans l'existence de ce pouvoir spécial, qui se présente à la société comme un pouvoir « impartial », la société se consommerait en luttes intestines et en guerres civiles. La seule existence de l'Etat est l'aveu de l'existence de contradictions irréconciliables au sein de la société. L'arbitrage de cette lutte de classe nécessite donc une institution spéciale qui maintient ces tensions dans certaines limites et évite ainsi que la société s'autodétruise.

Choisissant ces mots avec une grande prudence, Lénine caractérise l'Etat comme « un pouvoir se situant en apparence au-dessus de la société ». Cette apparence de « légalité impartiale », de la 'justice pour tous', etc. est bénie par l'Eglise et la morale officielle. L'écrivain français Anatole France avait à l'époque évoqué la majestueuse impartialité de la Loi, qui autorise aussi bien les riches et les pauvres à avoir faim et à dormir sous les ponts. Derrière la façade d'impartialité, se cachent des intérêts de classe. Néanmoins, en période normale les gens sont habitués à l'accepter sans remettre l'Etat en question. Cette institution leur apparaît comme normale et immuable. Ceci est compréhensible car depuis notre naissance l'Etat est omniprésent. C'est seulement lors de graves crises secouant la société jusque dans ses fondements, que les gens commencent à remettre en question leurs habitudes, la routine et la tradition qui pèsent sur leur esprit comme un poids mort. C'est à ce moment qu'ils regardent la réalité en face. C'est à cet instant, quand les opprimés commencent à se lever contre leurs oppresseurs, que l'Etat révèle ses vraies couleurs.

A certaines époques, quand la lutte de classe est dans l'impasse, que la classe dirigeante n'est plus capable de gouverner avec les vielles méthodes et que la classe ouvrière paralysée par ses directions n'est pas en conditions de la renverser, la tendance qu'à l'Etat de se séparer de la société et d'acquérir une plus grande indépendance se renforce. On assiste alors à un phénomène déjà remarqué à plusieurs occasions dans l'histoire : le « Césarisme » pendant la décadence de la République romaine, les régimes de monarchies absolues à la fin du féodalisme et le Bonapartisme dans l'époque moderne. Dans toutes ces variantes, l'Etat – « l'Exécutif » - s'élève au-dessus de la société, s'émancipant de toute forme de contrôle, même celle de la classe dominante. S'affirme alors le « gouvernement du sabre », de la domination des militaires, qui prend normalement la forme du règne absolu d'un seul individu. Au siècle passé Napoléon Bonaparte, Louis Bonaparte et Bismarck ont joué ce rôle. Dans l'époque moderne nous pensons alors a Peron (en Argentine), De Gaulle (en France), Pinochet (au Chili) et toute une série de dictateurs du Tiers Monde. Souvent un régime bonapartiste essaye de jouer le funambule entre les classes en les opposants les unes aux autres. Le dictateur a l'habitude de parler au nom de 'la Nation'. Mais derrière cette démagogie, cet Etat comme n'importe quel autre, représente la défense des relations de productions existantes. La vérité est qu'à l'époque moderne se sont produits des phénomènes très particuliers (le Bonapartisme prolétarien) surtout dans les anciens pays coloniaux qui échappent aux schémas classiques. Mais ceci est un est un autre sujet.

La Commune de Paris

C'est le devoir des marxistes d'étudier l'histoire, non comme un passe-temps académique mais afin d'en tirer des conclusions pratiques. Tout comme dans les académies militaires de la bourgeoisie, les officiers étudient les guerres de Napoléon et de Jules César pour préparer les guerres futures. Sans l'expérience de la Commune de Paris et de la Révolution russe de 1905, le parti Bolchevique n'aurait jamais pu élaborer un programme et une perspective adéquate pour la prise de pouvoir en 1917. De la même façon, Marx n'a pas inventé sa théorie de l'Etat, mais elle a surgi de l'expérience de la Commune de Paris.

Marx explique la véritable portée de la Commune de Paris dans une lettre a Kugelmann daté du 12 avril 1871 : « Si tu reprends le dernier chapitre de mon 18 Brumaire, tu verras que je déclare que la prochaine tentative de la Révolution consistera non seulement de transférer la machine bureaucratique et militaire aux mains d'autres - comme cela s'est vu dans le passé - mais de la casser (« zerbrechen »), voilà la condition préalable à toute authentique révolution populaire (.). C'est exactement ce qu'implique la tentative de nos héroïques camarades français ».

Sur base de cette expérience, une modification importante a été introduite dans l'édition allemande de 1872 du Manifeste Communiste, qui explique que la classe ouvrière ne peut utiliser l'appareil d'Etat existant à ses propres fins, mais qu'elle doit le renverser et créer un nouvel Etat Ouvrier ou plus correctement un semi-Etat, un Etat qui n'est autre chose que le peuple armé et organisé pour mener à bien la transformation de la société. Ce fut le cas de la Commune de Paris et aussi de la Révolution russe de novembre 1917 (octobre 1917 selon le vieux calendrier).

Sur base de cette expérience, une modification importante a été introduite dans l'édition allemande de 1872 du Manifeste Communiste, qui explique que la classe ouvrière ne peut utiliser l'appareil d'Etat existant à ses propres fins, mais qu'elle doit le renverser et créer un nouvel Etat Ouvrier ou plus correctement un semi-Etat, un Etat qui n'est autre chose que le peuple armé et organisé pour mener à bien la transformation de la société. Ce fut le cas de la Commune de Paris et aussi de la Révolution russe de novembre 1917 (octobre 1917 selon le vieux calendrier).

Militarisme et impérialisme

Un Etat bourgeois normal - même l'Etat le plus démocratique - est un monstre composé de millions de fonctionnaires, tant civils que militaires, qui dévore une partie très importante de la richesse produite par la classe ouvrière. D'un point de vue strictement économique l'Etat représente un terrible poids mort pour la société. Les impôts sont une charge de plus en plus lourde sur les épaules des travailleurs et des classes moyennes (les grandes entreprises et multinationales mettent en ouvre toute leur ingénierie fiscale légale et illégale pour contourner les impôts et payent de moins en moins d'impôts. Une grande partie des dépenses publiques est certainement nécessaire, mais une partie incroyable est destinée à l'entretien d'un appareil bureaucratique gonflé, inutile et parasitaire ainsi qu'aux salaires exorbitants des hauts fonctionnaires dénués de tout rôle productif.

Durant plus d'un siècle et demi la bourgeoisie, en particulier son aile libérale, se plaint des dépenses publiques exigeant dans la foulée un 'Etat bon marché'. Mais la nécessité de défendre le pouvoir et les privilèges d'une minorité sur l'écrasante majorité de la société rend inévitable l'entretien d'un nombre exagéré de bureaucrates, de policiers, de gendarmes, d'espions, de militaires, de juges, de curés, de personnel de prison etc. Quand les politiciens bourgeois parlent de réduire les dépenses publiques ils ne parlent pas de ces dépenses-là mais de « luxes inutiles » comme l'école publique, la santé, le chômage, les pensions etc. De fait, en même temps qu'ils imposent des assainissements brutaux, les dépenses dédiées au perfectionnement des méthodes de répression et de l'appareil militaire. Ces dépenses sont sacrées et intouchables. Margareth Thatcher a fermé des mines et des hôpitaux mais en même temps elle a augmenté les dépenses de police et créé de nouvelles unités de répression. Le Président Reagan a lui en son temps lancé un programme d'armement s'élevant à des milliards de dollars. A coté de cela les dépenses de réarmement de Hitler ressemblent à de l'argent de poche.

L'histoire du 20ième siècle est riche en exemples sur la véritable signification de l'impérialisme dans le sens où Lénine l'entendait, comme 'stade suprême du capitalisme'. Une étude réalisée en 1948 évalue le coût des deux guerres mondiales à 22.000 milliards de dollars (en chiffres de 1997). Le militarisme n'a pas modifié sa nature depuis lors. Le taux de concentration du capital a atteint des niveaux sans précédent. Les grandes banques et les monopoles ont tissé des liens très étroits avec les gouvernements nationaux et restent intimement reliés à l'Etat qui leur offre protection, les subventionne et leurs octroie des parties importantes du marché pour écouler leurs produits. Aux Etats Unis, l'alliance du gouvernement avec l'industrie d'armement et militaire porte un nom : « Le Complexe Militaire et Industriel ». Une situation identique existe dans d'autres pays impérialistes. Afin de maintenir un tel monstre, il faut un Etat également monstrueux, une grande masse de bureaucrates, qui sans rien produire siphonne une quantité impressionnante de ressources qui, dans une système économique et rationnel, seraient destinées à des fins productives. L'usage rationnel de ces seules ressources suffirait à transformer le monde. Sous le socialisme, ce gaspillage obscène serait aboli du jour au lendemain. En ce moment les dépenses d'armement en Grande Bretagne s'élèvent à 22 milliards de dollars par an, au Japon 44,6 milliards de dollars et aux Etats Unis à 100 milliards de dollars. Ces chiffres stupéfiants sont en soi un indice du caractère barbare de l'Etat bourgeois en ces temps. Ces quantités bestiales de dépenses militaires sont un investissement dans de la ferraille. Car la grande partie de ces fusées, tanks et canons ne seront pas utilisés. Quand ils sont mis en ouvre comme dans la Guerre du Golfe, ils le sont exclusivement pour la défense des bénéfices des grandes multinationales, qui sont intimement liées à l'Etat aux Etats Unis et dans les autres pays impérialistes. D'après une étude de la 'United States Nuclear Weapons Cost Study', le programme nucléaire des E.U. depuis 1940 jusqu'en 1995 aura coûté non moins de 4 milliards de dollars. Mais l'auteur de cette étude, Stephen Schwartz, convient que le véritable montant « est considérablement plus élevé » .

Le caractère parasitaire de l'Etat, surtout l'Etat moderne, ressort d'une analyse de Marx faite sur la lutte de classes, dans le 18 Brumaire de Louis Bonaparte. Il y décrit l'Etat ainsi :

Si Marx était choqué par l'idée d'un Etat d'un demi-million de personnes, que dirait-il aujourd'hui des millions qui font partie des Etats modernes, de ces bureaucraties volumineuses, de ces armées permanentes et des dépenses militaires astronomiques qui gaspillent une grande partie de la plus-value produite par la classe ouvrière dans tous les pays ? Si on se limite au seul exemple des Etats Unis, l'argent dédié annuellement à l'armement serait suffisant pour créer entre 2 et 3 millions de nouveaux emplois ou pour résoudre le problème du logement en 10 ans. Néanmoins les pétitions des pacifistes en faveur du désarmement n'ont jamais eu le moindre effet, car ces 'jouets ' meurtriers sont absolument nécessaires aux intérêts de la classe dominante et aucun fauve n'a jamais abandonné ses appétits féroces de sa propre volonté. Il est donc nécessaire de se mobiliser et d'organiser la forces des travailleurs pour la transformation de la société.

La destruction de ce monstre, l'Etat bourgeois, est la première condition à la construction d'une société vraiment démocratique et humaine, qui jettera les bases pour la transition vers le socialisme - une société sans classes et dans laquelle l'Etat, cette relique de la barbarie trouvera sa place dans le musée des antiquités, à coté de l'argent, des prisons, de la famille de la bourgeoise, de la religion et de toutes les autres aberrations qui pour des raisons incompréhensibles à tout homme ou femme capable de réfléchir, sont perçus comme des composantes irremplaçables d'une vie « civilisée ». « Les éléments accumulés d'opportunisme pendant des décennies de développement relativement pacifique ont créé le courant de social-chauvinisme dans les partis socialistes officiels du monde entier » (de l'Etat et la Révolution, Lénine).

Malgré son importance évidente, la question de l'Etat a été ignorée par les dirigeants du mouvement ouvrier dans les pays capitalistes avancés durant des décennies. Ce n'est pas un hasard. Ce n'est là qu'une facette de l'abandon total de toute velléité de transformation socialiste de la société. Mais il y a aussi une autre raison importante. A cause de la longue période d'expansion capitaliste après la seconde guerre mondiale les contradictions sociales se sont un peu adoucies. Deux générations de travailleurs en Europe, aux Etats Unis et dans d'autres pays ont vécu le plein emploi, des réformes et des concessions. Mais même dans ce contexte historique les conquêtes sociales ont été obtenues grâce à des luttes et des pressions de la classe ouvrière et du mouvement syndical, car la bourgeoisie n'accorde jamais rien sans luttes.

La majorité des gens ont cru que cette situation était normale et qu'elle allait durer pour l'éternité. En réalité il s'agissait d'une véritable anormalité et d'une exception historique. « Les conditions sociales déterminent la conscience » remarquait Marx à juste titre. En effet, dans un contexte où le système capitaliste semblait « fonctionner », la majorité de la classe des travailleurs était disposée à le tolérer. Les idées réformistes défendues par la social-démocratie pénétraient les masses et ont même été acceptées par les dirigeants communistes (via « l'Eurocommunisme » etc.). Les idées de Marx et de Lénine sont alors considérées comme désuètes. Le capitalisme aurait changé, prétendent-ils. Les récessions ne verront plus le jour. Le chômage de masse aurait définitivement disparu. La lutte de classe était devenue un anachronisme car la classe ouvrière s'était volatilisée. De la révolution socialiste n'en parlons surtout pas!

Le système de la libre entreprise (qui ne mérite d'ailleurs pas son nom) prend eau de toutes parts. Il est donc grand temps de lever le drapeau d'une alternative radicale ! Mais les demi-mesures ne valent rien. On ne guérit pas un cancer avec de l'aspirine. Les problèmes de la société ne peuvent pas se guérir aussi longtemps que les décisions principales sont prises par une petite minorité de banquiers et de capitalistes. Là réside la question clé.

Paradoxe de la situation : au moment ou le système capitaliste fait état de symptômes clairs de banqueroute totale, les dirigeants réformistes s'y accrochent comme jamais ils ne l'ont fait. Blair en Grande Bretagne et Jospin en France mais aussi les dirigeants syndicaux partout en Europe n'hésitent pas à donner un coup de main à leur bourgeoise à la recherche 'd'unité nationale' et de paix sociale. En vain ! Car la faiblesse invite toujours à l'agression. Pour chaque abandon social ou politique les patrons en redemandent deux en plus. Non par simple malveillance ou mauvaise foi (qui naturellement ne leur fait pas défaut). Le résultat de cette politique soi-disant réaliste est l'approfondissement du gouffre qui sépare les riches des pauvres, préparant une explosion de lutte de classes dans la prochaine période. Ici aussi s'applique la règle selon laquelle « les conditions sociales déterminent la conscience ».

La classe ouvrière apprend de ses expériences. Malheureusement, chaque génération doit réapprendre dans la douleur les leçons apprises par les parents et grands-parents. N'existe-t-il pas un mécanisme qui offre à la nouvelle génération la possibilité de saisir ces enseignements à l'avance en économisant les erreurs et les défaites ? Oui certainement, ce mécanisme s'appelle le parti. Un véritable parti révolutionnaire devrait agir comme la mémoire de la classe ouvrière. Un parti réformiste, remarquait Trotsky finement un jour, est un parti à la mémoire courte.

Ce n'est pas la première fois que l'on assiste à une période comme celle d'aujourd'hui. De 1870 à 1914 le capitalisme a connu une longue étape d'expansion marquée par le plein emploi et l'augmentation du niveau de vie. Tout comme aujourd'hui c'était là les bases matérielles qui fondaient les illusions du réformisme. Il n'est donc pas fortuit que E. Bernstein en Allemagne ait commencé à remettre en cause les théories révolutionnaires du marxisme à ce moment-là. Les dirigeants social-démocrates, en paroles encore et toujours marxistes, se gavent de lutte de classes et de révolution dans leurs discours du premier Mai, mais dans la pratique ils avaient déjà abandonné les idées de Marx qu'ils considéraient dépassées. La révolution socialiste n'était plus nécessaire car il était devenu possible de changer la société lentement, graduellement, pacifiquement via le parlement.

Cette époque s'est achevée par la première guerre mondiale, quand la dégénérescence nationaliste et réformiste de la Deuxième Internationale a poussé les dirigeants social-démocrates anglais, allemands et français à la trahison du vote des crédits de guerre.

La Révolution russe

Cette guerre est d'ailleurs l'expression la plus graphique des contradictions accumulées dans la période précédente. Toutes les vieilles illusions des réformistes se sont dissoutes dans le sang, la boue et le gaz moutarde des tranchées. A ce moment les questions de révolution, de guerre et de l'Etat reprenaient la première place. C'est Lénine qui donnait l'explication théorique de l'effondrement de la vieille Internationale et proclamait la nécessité d'une rupture fondamentale avec le national-réformisme. C'était des moments très durs pour les révolutionnaires internationalistes. Lors de la célèbre Conférence de 1915, la première tentative de regroupement des internationalistes, le petit nombre de participants inspira une remarque humoristique à Lénine qui prétendait que l'on pouvait maintenant mettre tous les internationalistes du monde dans deux wagons de train. Mais malgré sa faiblesse numérique et son isolement total des masses, Lénine n'a jamais douté d'appeler à la fondation d'une nouvelle internationale, basée sur les principes révolutionnaires et internationalistes du marxisme.

Des situations de réaction politique ne durent pas éternellement. A un moment un changement s'opère dans l'état d'esprit des masses. Les horreurs de la guerre ont ainsi donné une forte impulsion à la révolution, qui a démarré à Petrograd en mars 1917 (février selon l'ancien calendrier). La évolution russe marque le début d'une nouvelle époque, très différente de celle avant la guerre. Les décennies de 1920 et 1930 sont très convulsées et traversées de crises économiques, politiques et sociales. Cette période s'est conclue dans la deuxième guerre mondiale. Une période ouverte par la Révolution russe, avec la première conquête de pouvoir par la classe ouvrière, dirigé par un parti marxiste doté d'une direction révolutionnaire consciente : le parti bolchevique de Lénine et de Trotsky. Toute analyse sérieuse révélera que sans cette direction et sans un programme scientifique basé sur la théorie marxiste, la révolution d'Octobre n'aurait jamais vu le jour.

Ceci n'est pas le lieu pour retracer les événements qui se sont produits entre février et octobre 1917. Il suffit de souligner que le succès de la révolution n'était pas garanti à l'avance. Comme toujours il s'agit d'un combat entre forces vives, combat dans lequel la qualité de la direction, son audace, sa fermeté et sa clarté d'idées jouent un rôle décisif. Lénine développe ses idées sur l'Etat, non dans la tranquillité d'un séminaire universitaire, mais dans le feu du combat. Quand Lénine est obligé de passer dans la clandestinité suite à la réaction de juillet, il voyage vers la Finlande à la demande expresse du Comité Central. Dans ses bagages deux livres : l'Art de la Guerre de Clausewitz et la Guerre Civile en France de Marx. Ce dernier livre est le point de départ de sa réflexion qui va aboutir à l'Etat et la Révolution, livre qui non seulement est un des plus grands classiques de la théorie marxiste mais aussi un véritable manuel de la révolution.

Tout comme Marx et Engels, Lénine n'était pas un utopiste. Il ne laissait pas guider par des schémas abstraits mais par le mouvement réel de la classe ouvrière, son expérience historique et surtout par cette page héroïque et inspiratrice de la Commune de Paris de 1871. C'est précisément cette expérience de la Commune de Paris qui a permis à Marx de comprendre la forme concrète que prendra la « dictature du prolétariat ». Aujourd'hui, après l'expérience des régimes de Hitler, de Mussolini, de Franco et de Staline, le mot « dictature » a des connotations totalement différentes de l'époque de Marx et de Engels. Ils avaient en tête un régime semblable à celui de la République romaine qui en temps de guerre ou provisoirement, déléguait des pouvoirs exceptionnels à un « dictateur », afin de mener cette guerre. L'accusation décrivant Marx, Engels et Lénine en adeptes de régimes totalitaires est une calomnie grossière. A la lecture de l'Etat et la Révolution et de la Guerre Civile en France, réflexions qui s'appuient sur l'expérience de la Commune de Paris, se dresse devant nous une « dictature du prolétariat » qui est ni moins ni plus qu'une démocratie ouvrière.

Marxisme et anarchisme

L'abandon de toute politique révolutionnaire par les dirigeants du mouvement ouvrier a ouvert largement les portes aux tendances anarchistes, terroristes, de guérilla et gauchistes. Ceci en particulier parmi les jeunes, qui répugnent du spectacle d'un parlementarisme sans principes, de la collaboration de classe, de la corruption ouverte entre personnes qui doivent tout aux votes et à l'appui de la classe ouvrière. Tout jeune ou travailleur qui réfléchi sérieusement se rend compte que l'idée de non-participation au parlement est une idée fausse. S'abstenir aux élections revient à laisser le champ libre aux partis de la bourgeoisie. Dans une situation où des millions de travailleurs participent aux élections, les boycotter reviendrait à se boycotter soi-même. Nous n'avons pas le droit de nous abstenir de toute forme de lutte, mais au contraire lutter contre la bourgeoisie usant de tous les moyens à notre disposition, utilisant tous les terrains ou plat formes, toutes les possibilités qui nous sont offertes.

Ceci dit, il serait dangereux de ne pas se rendre compte que la bourgeoisie, tout au long de son histoire, a perfectionné un mécanisme très subtil et efficace de corruption des représentants de la classe ouvrière. L'Etat est sans aucun doute, une source importante de corruption. Les salaires élevés, les privilèges et les prébendes des parlementaires font partie de ce mécanisme de corruption qui éloigne les élus des personnes qui les ont élus. Mais la solution à ce problème ne réside pas dans l'abstention de toute lutte parlementaire, mais de prendre des mesures pour s'assurer que les députés élus par la classe ouvrière ne s'éloignent pas du peuple. Dans la mesure du possible, ils devraient être des travailleurs avec une expérience personnelle des conditions de vie des masses ou au moins des hommes et des femmes disposés à défendre fermement et de façon conséquente les intérêts de la classe ouvrière. Si par exemple ses représentants bénéficient de revenus qui les mettent dans des conditions de vie très différentes de la grande majorité des gens qui les ont élus ceci aura des conséquences. Cela se manifeste dans la tendance à s'éloigner progressivement de la réalité, de se séparer des masses et en fin de comte tomber sous la pression de classes sociales différentes. Ce phénomène se perçoit aussi dans les directions des syndicats qui affichent une tendance à échapper au contrôle de la base et à répercuter politiquement les pressions des chefs d'entreprise et du gouvernement.

Lénine était très conscient du risque de bureaucratisation et de la tendance de l'Etat se s'éloigner de la société. Une partie importante de l'Etat et la Révolution est consacrée à ce sujet. Comment lutter contre la bureaucratisation ? L'expérience de la Commune de Paris nous donne des réponses. La Commune limitait délibérément les salaires de ses représentants à 6.000 fr. par an, plus au moins le salaire d'un ouvrier qualifié. Cette mesure donne vie, pour reprendre les mots de Marx, à l'idéal bourgeois du « gouvernement bon marché » . Lénine, parfaitement au fait des mécanismes de la dégénérescence bureaucratique, a établi quatre conditions pour l'Etat ouvrier directement après la Révolution d'Octobre.

1) L'élection libre et la révocabilité de tous les fonctionnaires. 2) Aucun fonctionnaire ne peut percevoir un salaire plus élevé que celui d'un travailleur qualifié. 3) Plus d'armée permanente, mais un peuple en armes 4) Le transfert graduel de toutes les tâches de l'administration de l'Etat à toute la société grâce à un système de rotation. « Quand tout le monde sera devenu un bureaucrate plus personne ne le sera! ».

Voici le vrai programme léniniste pour l'Etat. N'oublions pas que Lénine en traçant les lignes de forces pour l'Etat ne parlait pas de socialisme ou de communisme mais établissait ici les conditions de base pour le pouvoir ouvrier, juste après la prise de pouvoir. On peut difficilement s'imaginer quelque chose de moins totalitaire que ce projet. Les ennemis du socialisme n'arrêtent pas de calomnier Lénine et la Révolution d'Octobre tentant de confondre Lénine et Staline. L'isolement bolchevique dans des conditions de retard économique effrayant a empêché que la classe ouvrière puisse se maintenir au pouvoir. Le régime de démocratie ouvrière établit par Octobre a fait place à un régime bureaucratique monstrueux et totalitaire de Staline. Les raisons des cette dégénération se trouvent non dans le programme et les méthodes du bolchevisme, mais dans les conditions objectives d'un pays affamé et analphabète et d'une classe ouvrière épuisée par des années de guerres et de révolution et découragé par la défaite de la révolution internationale.

Les raisons du triomphe du stalinisme en Russie ont été analysées dans une autre ouvre (La Révolution Trahie de Trotsky). Il suffit de dire que l'Etat établi par la révolution bolchevique était l'Etat le plus démocratique de l'histoire considéré de l'angle de la classe ouvrière. Mais le socialisme ne peut se construire sans bases matérielles adéquates. L'édification d'un Etat ouvrier en Russie en 1917 a été une formidable conquête. La nationalisation et la planification des forces productives sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière ont donné une forte impulsion au développement social. Mais la création d'une société sans classes nécessite un degré de développement économique pouvant satisfaire toutes les nécessités.

A la différence des anarchistes, le marxisme ne propose pas l'abolition de l'Etat en général, mais le renversement de l'Etat bourgeois. La transformation socialiste de la société serait impossible sans cette action. Mais qu'est donc l'Etat? Lénine explique qu'en dernier lieu, l'Etat se compose d'hommes armés en défense de la propriété. Pour renverser le vieil Etat et l'emporter sur la résistance des oppresseurs, la classe ouvrière a besoin de son propre Etat et doit organiser un pouvoir alternatif capable et disposé de faire front à la résistance de la réaction. Mais cet Etat des travailleurs, n'a rien a voir avec le vieux monstre bureaucratique et son armée de fonctionnaires. Un tel organisme social, dit Engels, 'n'est plus vraiment un Etat, au sens propre du mot mais bien un « semi-Etat », une organisation très simplifiée, basé sur l'administration démocratique et directe du peuple, un Etat dont l'unique objectif et de réaliser le plus vite possible sa propre disparition. L'Etat sera donc dissous dans la société et substitué par une association de producteurs. Ce processus est loin d'être arbitraire et ne peut pas être mis en ouvre directement. Le marxisme, la doctrine du socialisme scientifique, explique que la force motrice du procès social est le développement des forces productives. La possibilité réelle de substituer les anciens mécanismes de coercition par une société vraiment libre dépend du degré de développement de l'industrie, de la science, la technologie et la culture. La possibilité physique par exemple des masses à participer à la gestion démocratique de la société dépend de la réduction drastique de la journée de travail. Aussi longtemps que l'écrasante majorité des hommes et des femmes est obligée de travailleur huit, dix ou douze heures par jour, prester des heures supplémentaires, des week-ends etc. pour vivre, la démocratie ne sera toujours qu'une illusion, une formalité vide de tous sens. Dans de telles conditions, soutenait Engels, une minorité détiendra toujours du monopole de l'art, de la science et du gouvernement et abusera naturellement de ce monopole pour son propre bénéfice.

C'est seulement à partir du moment ou l'humanité sera libérée des préoccupations humiliantes, de la lutte de tous les jours pour la survie, quand les heures de travail seront réduites à leur expression minimale, que les masses disposeront des conditions nécessaires au développement d'êtres humains libres. Cela rendra possible la participation de tout le monde aux tâches de l'administration et de la gestion de la société, condition sine qua non à la disparition de l'Etat. Contrairement donc aux préjugés anarchistes, l'Etat ne peut être aboli par décret, mais doit être dissous dans la société dans la mesure ou la transformation des conditions de vie des masses le permet. La Commune de Paris et - à un niveau infiniment supérieur - la Révolution d'Octobre, démontre que les millions d'hommes et de femmes ordinaires, une fois éveillés à la vie politique sont capable de prendre leur destin en main et d'administrer leur vie. Il ne faut pas attendre pour cela l'existence de conditions matérielles à une société sans classes. La participation active des masses débute avec la révolution même. L'Etat ou plus correctement le « semi-Etat » est un appareil relativement simple. Il n'a rien a voir avec ce monstre bureaucratique pour la simple raison qu'il représente la domination de la majorité écrasante de la société sur une poignée d'exploiteurs. L'aspect de coercitif de l'Etat se limite au strict nécessaire pour surmonter la résistance et le sabotage des anciens exploiteurs et ceux qui les suivent.

En Russie, l'insurrection de Petrograd a été pacifique grâce justement à l'action des bolcheviques, dirigés par Lénine et Trotsky. Neuf dixièmes du travail avaient déjà été réalisés auparavant. Il n'y eu donc qu'un minimum de résistance au moment de vérité Le vrai bain de sang est venu suite à l'invasion de 21 armées étrangères venues étrangler la Révolution. N'oublions pas qu'à cette époque la Russie était un pays très arriéré, avec une classe ouvrière très petite - 3,5 millions sur une population totale de 150 millions. Dans un tel contexte, la lutte prenait inévitablement un caractère extraordinairement féroce. Ceci vaut également pour la Commune de Paris. Mais avec une différence notable. L'existence du parti Bolchevique, qui a pu diriger la classe ouvrière avec succès contre ses ennemis et sauver ainsi la Révolution. La Commune par contre a été écrasée par les forces contre-révolutionnaires de Versailles. Pourquoi ce destin différent ?

Les différences entre le marxisme et l'anarchisme ne se limitent pas à la question de l'Etat mais peuvent s'étendre à toutes les questions essentielles de la révolution sociale. Malgré sa phraséologie 'révolutionnaire' les théories anarchistes sont à vrai dire l'antithèse des positions révolutionnaires. Trotsky n'avait pas tort de décrire l'anarchisme en politique comme un parapluie avec des trous : sans la moindre utilité précisément quand il pleut. Cette affirmation a été confirmée par l'histoire dans chaque révolution depuis la Commune de Paris jusqu'en Albanie. La Commune a échoué, malgré l'héroïsme du prolétariat de Paris, à cause de l'absence d'une direction politique. Dans une révolution chaque erreur se paye. Le prix pour ces erreurs est toujours très élevé. Il n'y pas de temps pour apprendre 'en cours de route', pour la simple raison que les forces réactionnaires ne nous feront pas cette faveur. Les dirigeants de la Commune de Paris était composés dans leur grande majorité de personnages accidentels. Ils n'étaient nullement ou mal préparé ou pire encore influencés par des idées erronées du jacobinisme petit-bourgeois aux positions semi-anarchistes de Proudhon. Ils ont commis des erreurs.

Concrètement : ils n'ont pas nationaliser la Banque de France et n'ont pas marché directement et tout de suite contre Versailles pour écraser la réaction. Ces erreurs ont donné un temps précieux à Thiers pour qu'il réorganise ses forces pour attaquer Paris. La Commune a été alors écrasée. 30.000 personnes y ont péri.

La révolution espagnole de 1931-37 est l'exemple le plus flagrant du caractère désastreux de la théorie et de la pratique anarchiste. En juillet 1936, la classe ouvrière de Barcelone s'est dressée contre les fascistes. Armés de bâtons, de couteaux et quelques vieux fusils ils ont pris d'assaut les casernes et ont mis fin a l'insurrection réactionnaire. Les ouvriers anarchistes de la CNT ont vraiment joué un rôle de premier plan dans cette action héroïque, qui sans le moindre doute a évité le triomphe du fascisme. Suivant leur instinct révolutionnaire dans cette victoire, ils ont organisé des comités, imposant le contrôle ouvrier dans les usines abandonnées par les capitalistes catalans. Le pouvoir était aux mains des comités et des milices ouvrières. Le célèbre dirigeant anarchiste Buenaventura Durruti et son armée menait une guerre révolutionnaire en Aragon. Mais les conquêtes des ouvriers de la CNT ont été avortées par leurs dirigeants. Dans ce contexte la dissolution du gouvernement bourgeois de la ' Generalitat' et la constitution d'un pouvoir ouvrier n'aurait pas posé le moindre problème. Ce fait a été admis par le Président Luis Companys même de la Catalogne. Mais ce politicien bourgeois astucieux a alors invité les dirigeants anarchistes à prendre le pouvoir - un incident avec peu d'antécédents dans l'histoire des révolutions ! Ce que les dirigeants anarchistes ont refusé. Comment pouvaient-ils en effet former un gouvernement ouvrier quand ils s'opposaient à tout gouvernement en général ? La conséquence est qu'ils ont alors permis à l'Etat bourgeois de se reconstruire en Catalogne et à rassembler les forces nécessaires à l'écrasement des forces révolutionnaires au mois de Mai 1937.

Si les dirigeants de la CNT avaient été des révolutionnaires conséquents, ils auraient appelé tous les comités aussi bien ceux des usines que ceux des milices pour qu'ils élisent des délégués à un comité central pour toute la Catalogne. Ceci aurait représenté ni plus ni moins qu'un gouvernement révolutionnaire. Ce que Marx aurait appelé « la dictature du prolétariat ». Un gouvernement qui n'aurait rien a voir avec l'Etat bourgeois mais l'expression du pouvoir révolutionnaire de la classe ouvrière. Le refus de la CNT de faire ce pas décisif est la raison de la défaite de la révolution malgré l'héroïsme extraordinaire des ouvriers de la CNT. Pire encore : les dirigeants anarchistes qui ont refusé de constituer un gouvernement ouvrier, invoquant la violation des principes anarchistes, n'ont pas hésité à accepter des postes de ministres dans le gouvernement de Front Populaire à coté des ministres républicains bourgeois. Ces événements ne doivent surprendre personne qui connaisse un peu l'histoire de l'anarchisme. En France, avant la première guerre mondiale, les dirigeants anarcho-syndicalistes, courant majoritaire du mouvement syndical, juraient à qui voulait bien les entendre qu'ils n'hésiteraient pas en cas de guerre à appeler à la grève générale révolutionnaire (position clairement fausse et démagogique, vu que dans une situation de mobilisation générale et l'ambiance du chauvinisme qui accompagne inévitablement la déclaration de guerre, les conditions ne peuvent être réunies pour le succès d'une grève générale) et refuseraient de collaborer à la boucherie. En fin de compte ces dirigeants n'ont fait aucun appel à quoi que se soit mais sont rentrés directement dans un gouvernement de soi-disant « Union Sacrée », position qu'ils ont utilisée pour jouer au briseur de grève du début jusqu'à la fin de la guerre. Voici à quoi aboutit une théorie fausse de l'Etat : un parapluie plein de trous. Les nouvelles générations doivent réfléchir sur cette histoire - le seul antidote à l'influence pernicieuse de l'anarchisme.

La Révolution Albanaise

Lénine soumet l'anarchisme à une critique de fond, mais réserve ses critiques les plus fortes à l'encontre des réformistes et des opportunistes. Ce n'est pas un hasard. A juste titre qualifiait-il les réactions gauchistes et anarchistes comme le prix que le mouvement ouvrier doit payer pour l'opportunisme. Cette réflexion n'a pas perdu de sa pertinence aujourd'hui bien au contraire. Pendant des décennies on a insinué que les idées de Marx et de Lénine étaient « vieux jeu », que « les choses ont bien changé » et que naturellement la révolution socialiste est impossible. Pour ces personnes la révolution albanaise (l'insurrection populaire en Albanie début 1997 suite à la découverte de la faillite des 'pyramides' financières, miroir aux alouettes du capitalisme naissant, dans lesquelles des centaines de milliers de personnes avaient investit toutes leurs économies et qui avait aussi dévoilé la complicité et la corruption du gouvernement du président chéri de l'ouest, Berisha) sonne comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. L'insurrection héroïque du peuple albanais est la réponse finale à tous les sceptiques qui nient la possibilité à la classe ouvrière de réaliser une révolution en ces temps modernes. Naturellement, la bourgeoisie internationale et les médias à sa botte se sont empressés d'enterrer la révolution albanaise sous une avalanche de calomnies. A en croire la presse, l'Albanie était devenue la proie du « chaos » de « l'anarchie » et naturellement de la maffia et des criminels.

Cela ne doit pas nous surprendre. La Commune de Paris a subi le même sort tout comme la Révolution russe. Mais ces mensonges cachent la haine et la peur des classes possédantes pour tout peuple qui se dresse contre ses oppresseurs. Un(e) marxiste doit être capable d'analyser tout événement sérieusement, séparant l'essentiel de l'accessoire, le progressiste du réactionnaire. La méthode contraire nous mènera à des conclusions erronées. Quels sont les traits les plus saillants de la situation en Albanie au printemps de l'année 1997? Le premier facteur d'importance est l'irruption soudaine des masses dans la vie politique. Voici vraiment l'une des caractéristiques les plus importantes d'une révolution. La véritable révolution n'est pas l'ouvre d'une minorité de « sages » ou d'un groupe de conspirateurs, comme le prétendent les historiens bourgeois. C'est une situation limite où les masses - c'est à dire des millions d'hommes et de femmes « ordinaires », des personnes sans préparation politique ni antécédents politiques - décident « d'en avoir assez » et commencent à prendre leur destin en main. C'est exactement ce qui s'est déroulé en Albanie.

Le deuxième caractéristique de cette situation est que les masses sans la moindre direction ni plan établi décident d'affronter physiquement leurs oppresseurs, prennent d'assaut les casernes comme les ouvriers de Barcelone en 1936, pratiquement les mains vides. Le peuple en armes a écrasé l'Etat qui s'est désagrégé en quelques jours. La quasi-totalité de l'armée officiers inclus) est passé du côté du peuple les armes en mains. Si ceci n'est pas une révolution, je ne sais pas ce qu'est une révolution en général!

Le troisième facteur est la tentative surtout dans le sud du pays d'organiser des comités révolutionnaires. Contrairement à ce que raconte la presse vendue à l'ouest, il ne s'agissait nullement de « chaos et d'anarchie » mais d'une réelle tentative de créer de nouveaux organes de démocratie populaire, sous le contrôle direct d'un peuple en armes. Voici qui ressemble très fort à ce qui s'est passé durant la Commune de Paris. L'essence de cet Etat d'un nouveau type est expliquée par Lénine de la manière suivante :

1) La source du Pouvoir ne réside pas dans une loi, débattue et approuvé précédemment au Parlement, mais dans l'initiative directe et venue d'en bas des masses populaires et dans la 'prise' de pouvoir directe pour utiliser un terme à la mode dans tous les endroits

2) la substitution de la police et de l'armée en tant qu'institutions séparées du peuple et opposées à lui, par l'armement direct du peuple entier ; avec ce Pouvoir les travailleurs et les paysans armés, le peuple en armes, s'assurent de l'ordre public

3) les fonctionnaires et la bureaucratie sont remplacés par le Pouvoir direct du peuple ou du moins soumis à un contrôle spécial ; ainsi ils deviennent des simples mandataires, non seulement éligibles mais révocables à tout moment, quand le peuple l'exige ; ils se transforment de caste privilégiée et grassement rétribuée, avec une rétribution bourgeoise pour ses ' postes' en travailleurs d'une « arme' spéciale dont la rémunération n'excède pas le salaire courant d'un travailleur qualifié. C'est en cela, et seulement en cela que se trouve l'essence de la Commune de Paris en tant que modèle spécial d'Etat (Dans La dualité des pouvoirs par Lénine).

En Albanie le peuple était armé et essayait de créer ses propres organes de pouvoir révolutionnaire dans les comités. Ceux-ci ont été élus dans le feu de la l'insurrection, sous le contrôle et la vigilance du peuple armé. Ses membres ne reçoivent pas la moindre rémunération. Ils sont composés de personnes 'normales' issues des communautés dans lesquelles ils vivent. Laissant de côté les questions secondaires en quoi se distingue cette situation de celle de la Commune ? Que les comités se concentraient essentiellement dans le Sud du pays ? Que la composition des comités n'est pas nettement prolétarienne et que de nombreux éléments petit bourgeois, confus, accidentels voir même opposés à la révolution y trouvaient leur place ? Lisons encore une fois ce que Lénine constate à propos de la Commune :

« La Commune de Paris a duré quelques 4 semaines en une seule ville, Paris, sans que les gens aient été conscients de ce qu'ils faisaient. Ceux qui ont crée la Commune ne l'ont pas compris. Ils l'ont établi suivant l'instinct infaillible d'un peuple réveillé et aucun des groupes socialistes n'étaient également conscient de ce qu'ils faisaient' (Lénine, Discours au 7ieme Congrès du PCR (b)).

A un autre moment Lénine se demande : « S'agit-il d'une véritable dictature pure du prolétariat dans le sens de la composition purement social-démocrate des ses membres et du caractère socialiste des ses tâches ? D'aucune façon ! Le prolétariat avec une conscience de classe (et seulement plus au moins consciente) c'est à dire les membres de l'Internationale étaient dans la minorité. La majorité consistait en des représentants de la démocratie petite bourgeoise » (Lénine, La Commune de Paris et les Tâches de la Dictature Démocratique).

Le célèbre historien de la Commune, Lissgaray écrit ceci au sujet de la composition du comité central de la Garde Nationale : 'Qui étaient ces hommes ? Les agitateurs, les révolutionnaires de la Cordière, les socialistes ? Non. Il n'y avait aucun nom connu parmi eux. Tous les élus étaient des hommes de la classe moyenne, des commerçants, des employés'. A propos de la Commune elle-même, Lissgaray compte 25 représentants de la classe ouvrière bien que tous n'étaient pas membre de l'Internationale. Malgré toutes ces déficiences et faiblesses, Marx n'hésitait pas à décrire la Commune comme le premier exemple d'une démocratie ouvrière (« la dictature du prolétariat »).

La vérité est qu'une fois la réaction écrasée, les insurgés ont commis une erreur de taille. Ils ne sont pas passés à l'offensive. Ils n'ont pas marché sur Tirana (la capitale) pour y liquider les restes du vieux régime (fondamentalement la clique de Berisha et les éléments du Shik, la police secrète). Ils auraient pu faire cela sans trop de problème au mois de mars de 1997. Mais ils ont laissé le temps nécessaire à Berisha pour se ressaisir, de regrouper ses forces bien qu'à la fin il n'ait pas été capable d'écraser la révolution. Les impérialistes effrayés, n'ont pas eu d'autre choix que de passer la balle dans le camp du Parti Socialiste (l'ancien Parti Communiste) qui a capitulé de manière scandaleuse face à l'impérialisme et la bourgeoisie. En se déclarant partisans de 'l'économie de marché', du désarmement du peuple, de la dissolution des comités et de la restauration de l'ordre ils ont reconstruit le vieil appareil d'Etat.

Ils ont joué le même rôle que les dirigeants du SPD en Allemagne de 1918 à 1921 : faire avorter la révolution et rendre le pouvoir aux capitalistes. Le résultat de cette situation n'est pas encore clair (depuis la rédaction de ce texte, la contre-révolution a repris le dessus mais avec un visage « démocratique » liquidant les acquis de l'insurrection du printemps albanais de 1997 n.d.l.t). Mais une chose est évidente. Si la révolution albanaise se termine en défaite ce sera la conséquence directe de l'absence d'une direction adéquate. Evidemment, des voix sceptiques s'élèveront pour nous assurer que tout ceci était inévitable, que les conditions n'étaient pas mûres (pour certaines personnes les conditions ne sont jamais mûres), que les gens avaient une faible conscience politique etc. etc. La vérité est que les masses en Albanie ont fait tout ce qui était humainement possible pour changer la société. Que peut-on demander de plus à un peuple ? Mais une fois de plus nous devons constater que pour gagner une guerre le courage ne suffit pas. Il ne faut pas seulement des soldats courageux mais également un quartier général avec une perspective et un plan de bataille. En d'autres mots il faut un parti.

La question de la violence

Un des arguments utilisés contre les marxistes est de les accusés d'être des chantres de la violence. Cet argument est sans fondement. Les marxistes veulent une transformation pacifique de la société, mais nous sommes également réalistes et savons qu'aucune classe dominante dans toute l'histoire n'a jamais abandonné son pouvoir et ses privilèges sans mener une lutte qui est souvent sans merci. Ce fait a été démontré tant de fois qu'il est vraiment superflu d'exposer largement cet argument. Pendant les événements par exemple d'Espagne entre 1931 et 1937, la classe dominante n'a pas hésité pour déchaîner une guerre civile sanglante contre la classe ouvrière. Que le gouvernement du Front Populaire soit élu démocratiquement n'y changeait rien. Ni les appels au respect de la légalité et la constitution. L 'unique chose importante aux yeux des capitalistes et des propriétaires terriens était leurs intérêts de classe menacés. La seule façon de les défaire consistait à les écraser et à les exproprier. Toute autre démarche n'est que leurre et rêverie. L'histoire montre que les rêves réformistes se payent chers.

Plus tard il y a encore l'exemple du gouvernement de l'Unité Populaire du Chili. Une fois de plus, nous avons assisté à la cruelle réalité de 'l'indépendance et de l'impartialité' de l'Etat. Dans la foulée de Franco en Espagne, le Général Pinochet (militaire supposé être un grand démocrate et nommé comme homme de confiance par le Président socialiste Salvador Allende) a perpétrer son coup d'Etat contre le gouvernement « constitutionnel ». La classe ouvrière et le peuple chilien ont payé un prix terrible pour les illusions constitutionnelles des ses dirigeants. Le triomphe de Pinochet était loin d'être inévitable. La classe ouvrière chilienne disposait de forces suffisantes pour écraser les militaires réactionnaires plusieurs mois avant le coup d'Etat fatal de septembre 1973. Mais au moment de vérité la classe ouvrière a été paralysée par une fausse politique qui imaginait que tout pouvait se régler dans le cadre de la Constitution, les lois en vigueur et les « règles du jeu » comme s'il s'agissait d'un jeu d'échec et non un combat sans pitié entre intérêts de classe irréconciliables. De telles illusions ont toujours conduit au désastre.

Solon le Grand, auteur de la Constitution d'Athènes, grand expert en lois et constitutions n'avait pas de peine d'admettre que « la loi est comme une toile d'araignée : elle attrape les petits mais les grands la déchire sans difficultés ». Un constat facilement prouvé sur base de l'expérience des gouvernements social-démocrates les dernières décennies en Europe. Elus avec l'appui de millions de travailleurs qui en attendent un changement de société, leur action est sabotée par la résistance féroce d'une poignée de banquiers et de capitalistes qui se sentent menacés par même les plus timides réformes. Ce serait naïf de s'imaginer que la classe dominante, de ce pays ou un autre, réagirait d'une manière différente au cas de l'élection d'un véritable gouvernement de gauche dans l'avenir. Certes la classe ouvrière doit lutter pour ses droits démocratiques et utiliser toutes les voies démocratiques disponibles pour défendre ses droits et participer dans les élections au niveau local, régional et national. Nous ne sommes pas des anarchistes. Nous comprenons que sans la lutte quotidienne pour obtenir des avancées partielles sous le capitalisme, la révolution socialiste serait impensable. Ce n'est que de cette façon qu'il est possible d'organiser les masses, de les former dans la lutte et forger les instruments nécessaires pour réaliser la transformation de la société.

Tout cela est bien vrai mais encore insuffisant. Surtout en ce moment quand la bourgeoisie à l'échelle mondiale lance des attaques sauvages contre le niveau de vie, les salaires, les pensions, les conditions de travail et de l'emploi il est nécessaire de comprendre que même quand la classe ouvrière réussit à arracher des concessions, ces victoires ne peuvent être que provisoires. Ce qu'ils donnent de la main gauche ils le reprennent de la main droite. Les augmentations salariales sont annulées par l'augmentation des prix et des impôts. Le chômage et la précarité augmentent comme jamais, malgré les manipulations scandaleuses des chiffres et de la propagande mensongère via les médias. Si ceci se déroule à un moment d'expansion économique, que se passera-t-il lors d'une nouvelle contraction de l'économie qui viendra bien à un moment ou un autre ?

Avant tout il est nécessaire de dire la vérité à la classe ouvrière, qui en à marre des mensonges et des arnaques. La vérité est que l'unique façon de résoudre la crise actuelle est par la transformation radicale de la société qui mette fin à la domination des banques et des monopoles. Toute autre solution aboutira à un désastre. Si les dirigeants du mouvement ouvrier utilisent un dixième de leur temps et de leur énergie qu'ils consacrent à la recherche de pactes sociaux et d'un consensus introuvable à expliquer la vraie situation et de mobiliser la classe ouvrière et la jeunesse pour changer la société, le problème sera rapidement résolu. Au même moment que nous luttons contre toutes les tentatives de la bourgeoisie de lâcher tout le poids de la crise sur les épaules des travailleurs et de leurs familles, nous devons engager la lutte pour un vrai gouvernement de gauche qui nationalise les banques et les grands monopoles sous le contrôle et la gestion démocratique de la classe ouvrière. Voici la seule solution pour sortir de la crise actuelle qui frappe de plein fouet des millions de travailleurs, de jeunes, de mères de familles et de pensionnés.

Dans une société moderne la classe ouvrière représente la majorité écrasante de la société. Les leviers les plus importantes de l'économie se trouvent en ses mains. Il n'existe aucun pouvoir au monde capable de résister à la classe ouvrière une fois mis en mouvement pour changer la société.

Les prochaines années ne seront pas des années de tranquillité et de paix sociale, bien au contraire. Le système capitaliste se traîne de crise en crise. Sur base de son expérience, la classe ouvrière et les jeunes apprendront à nouveau les enseignements du passé. De nouveaux militants entreront dans les rangs remplaçant ceux fatigués par la lutte. Les organisations se transformeront de fond en comble. De nouveaux groupes de travailleurs comprendront l'importance d'un programme révolutionnaire. Des idées qui aujourd'hui ne sont écoutées que par des petits groupes de personnes, demain seront portées par des millions. Le capitalisme ne propose aucun avenir à la classe ouvrière ni à la jeunesse. L'abolition radicale de ce système est la seule solution. Mais avant de pouvoir réaliser cela il est vital de préparer un nombre suffisant de cadres marxistes dans chaque entreprise, école, bureau, syndicat etc. La formation de ces cadres est la tâche la plus urgente en ce moment-ci. Il n'y pas de texte plus important à cette préparation que l'Etat et la Révolution.

Londres, 4 septembre 1997

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