Pas un important rassemblement syndical dans le pays, sans qu’apparaisse la grande banderole demandant la réintégration des 5 permanents syndicaux. L’équipe de militants du comité de soutien à du tonus. Les premiers résultats ne sont pas négligeables. Martin Willems nous fait un ‘topo’.


Le vent semble tourner au sein du SETCa au sujet du licenciement des 5 permanents de l'Industrie. Deux assemblées des militants de l'Industrie de Bruxelles demandent votre retour dans le syndicat.

Nous avons toujours dit que nous n'accepterions jamais notre "licenciement" tant que la base n'aura pas pu s'exprimer, après avoir entendu les deux sons de cloche.  Parce que nous tenons notre mandat de la base (l'assemblée industrie puis le comité exécutif et le congrès du SETCa BHV), parce que c'est à elle que nous devons rendre des comptes et que c'est elle qui peut modifier ou révoquer notre mandat.  Parce que notre dossier dépasse de loin nos personnes, mais pose des questions fondamentales (rôle de la base, priorités de l'organisation syndicale, banalisation du licenciement pour faute grave, autonomie des sections syndicales d'entreprise, respect des personnes, etc.). 

Parce que c'est un droit de l'homme fondamental de pouvoir s'exprimer et se défendre avant d'être éventuellement condamné.

Ceux qui ont voulu nous "licencier" ont toujours évité que la base puisse s'exprimer en évitant au maximum les assemblées statutaires.  Mais le 26/1, une assemblée "services" du SETCa BHV a eu lieu; les délégués ont exigé, dès le début de la réunion, de mettre notre dossier à l'ordre du jour et d'entendre les deux permanents qui distribuaient des tracts à l'entrée (Bernadette Mussche et moi-même).

Après nous avoir entendu, après un débat contradictoire (parce que les permanents qui présidaient la réunion jusque là ont tenu à expliquer aux militants pourquoi la décision de la direction fédérale devait être "respectée"), l'assemblée a voté à l'unanimité une motion exigeant la réintégration de ceux des 5 permanents qui le désiraient.  Cette motion, inspirée de la conclusion de l'article du Pr. Alaluf sur notre licenciement, insiste sur le fait que la réintégration est une revendication syndicale et que personne ne devait de ce fait perdre la face.

Le 8/2 devait avoir lieu une assemblée "industrie", l'assemblée statutaire de notre secteur.  Malgré de nombreuses manœuvres (invitation d'une partie seulement des délégués, annulation de dernière minute de la réunion et des libérations syndicales, etc.), la réunion s'est quand même tenue et a voté à l'unanimité la même motion que l'assemblée "services".  Ces assemblées représentent la base statutaire de notre secteur, mais aussi d'une bonne moitié de toute la section BHV du SETCa; la motion est donc largement représentative.

Ces décisions des assemblées nous confortent dans notre combat; il serait incroyable que l'avis valablement exprimé de ces assemblées soit tout simplement ignoré.  L'assemblée industrie a aussi mandaté un bureau de 5 membres pour demander audience au comité exécutif fédéral du SETCa et au bureau fédéral de la FGTB, pour y défendre la motion, mais sans réponse à ce jour.

La grande banderole demandant la réintégration devient l'étendard de votre lutte. On l'a vu lors des rassemblements syndicaux à Bruxelles et même à Anvers. Vous semblez faire un véritable tour de la Belgique syndicale. Quelles sont les réactions lors des manifestations?

On a bien vu aussi cette banderole lors des actions et de la manifestation du 4 mars devant la Banque Nationale de Belgique.  Il est clair que nous luttons pour notre réintégration, pour défendre une vision du syndicalisme, et que donc nous nous inscrivons résolument dans la lutte sur les grands dossiers du jour.  D'autant plus qu'il s'agit ici de la première phase de la version belge du plan d'austérité "capitaliste et néolibéral" qui touche tous les pays d'Europe.  Les travailleurs ne peuvent pas être les cochons payeurs de cette soi-disant crise.

Notre licenciement est absurde parce chaque membre a le droit de remettre en question la gestion du syndicat, mais surtout parce la priorité d'une organisation syndicale n'est pas les "investissements financiers", mais le combat pour les droits des travailleurs et une société juste.  Sur ce plan, qui est l'essentiel, même ceux qui nous ont licenciés disent qu'il n'y a rien à nous reprocher, que du contraire.

Lors de ces manifestations, nous entendons de nombreux encouragements.  On dirait que la majorité des militants de la FGTB connaît notre dossier et comprend les enjeux de notre combat.  Nous faisons le tour des sections régionales, nous participons aux actions à travers tout le pays, car les enjeux dépassent largement la seule régionale BHV du SETCa et sont même interprofessionnels.  Le constat général est que cette affaire nuit à notre organisation et aux travailleurs, et qu'il faut la résoudre.

Nous ne nous battons pas contre notre organisation syndicale, mais au sein de l'organisation, avec comme seul objectif de continuer ensemble la lutte.

Quelles sont les questions ou les doutes que vous rencontrerez le plus souvent parmi les militants syndicaux au sujet des 5.

Au début, de nombreux militants étaient -avec raison- dubitatifs.  Un licenciement collectif pour faute grave de tous les permanents d'un secteur est si énorme que la majorité se disait que "il devait bien y avoir quelque chose de très grave à nous reprocher, même si ce n'est pas dit publiquement.  Une autre variante est "on ne sait pas tout".

Six mois plus tard, cet argument ne tient plus.  S'il y avait quelque chose d'énorme derrière, on le saurait à ce stade.  Ne serait-ce que parce que nous avons largement distribué par tract des informations sur le dossier, parce que de nombreux militants ont demandé des explications et qu'il n'y a pas de réponse crédible.  Aujourd'hui notre pire ennemi est le défaitisme, la résignation et l'usure du temps.  Des arguments du genre "vous avez raison, mais c'est maintenant une vieille histoire", ou bien "la décision était sans doute mauvaise, mais c'est la décision de nos dirigeants et on ne peut pas revenir en arrière, pour le bien de l'organisation".  Ce sont des arguments absurdes, des arguments de résignation, contraires à l'esprit combatif du syndicalisme.  Faire changer d'avis une direction d'entreprise, contester la "fatalité économique" prend aussi du temps, mais nous ne nous résignons pas pour autant.

C'est la difficulté d'un combat contre "l'inertie d'une très grosse organisation".  Mais l'actualité internationale nous démontre que les combats a priori désespérés ne sont pas toujours perdants, et que le rapport de forces n'est pas toujours du côté du bâton.

Mais de nouveau, que ce soit clair, nous ne nous battons pas contre l'organisation ni contre ses dirigeants fédéraux.  Chacun a sa place, son mandat et sa légitimité, nous respectons la leur autant que nous leur demandons de respecter la nôtre.  Nous refusons la logique "c'est eux ou nous", car ce serait personnaliser un combat de principes et accepter la logique des jeux de pouvoir.  Il faut reconnaître le droit à l'erreur et à se corriger, pour eux comme pour nous (je ne prétends en effet pas que nous n'avons de notre côté fait aucune erreur).

Les autres doutes de nos militants sont relatifs aux élections sociales, qui approchent à grands pas.  Tout le monde veut une solution rapide pour pouvoir les aborder avec sérénité et en front uni. Certains craignent aussi des règlements de compte au moment de ces élections.  Sans solution, tout le monde sera perdant.

Quant aux dirigeants de la FGTB, qui disent aussi vouloir une solution, ils prétendent être impuissants.  Mais nous ne pouvons pas croire, les militants et affiliés ne peuvent pas croire que nous serions dans une organisation où certains auraient un pouvoir absolu, et que même s'ils devenaient subitement fous on ne pourrait rien faire.  Le salut des travailleurs vient d'eux-mêmes et ne peut pas dépendre de ses seuls dirigeants.

 Votre obstination à mener campagne dans le syndicat est remarquée. Ou trouver vous cette force?

Nous trouvons notre force dans la conviction que la question dépasse notre seul sort personnel.  Que si contester une proposition venant d'en haut est une faute grave, alors demain tous les syndicalistes dans toutes les entreprises seront menacés de "faute grave".  Et qui dit faute grave dit aussi qu'il n'y a plus de protection.  Nous ne nous sommes pas battus pendant des années pour la démocratie économique, pour la liberté de s'exprimer dans les entreprises, pour la protection des délégués et des libertés syndicales pour accepter que dans notre propre maison ces principes ne sont plus valables.

Nous sommes encouragés aussi par les nombreux soutiens.  Le support des délégués est remarquable : après 6 mois, le comité de soutien se réunit encore toutes les semaines.  Et ce malgré la lassitude d'un long combat et malgré les intimidations de toutes sortes : lettres aux délégués, prise en tenaille par les délégués entre leur direction (qui reçoit des lettres du SETCa fédéral) et le SETCa fédéral, etc.

Nous sommes encouragés parce que lorsqu'on explique l'affaire, une très large majorité soutient notre combat.  Il y a aussi des "soutiens" inattendus.  Ainsi la Ligue Belge des Droits de l'Homme a nominé la direction fédérale du SETCa pour sa cérémonie des "boulets d'or 2011" (sorte de "carton rouge" des principaux problèmes de respect des droits fondamentaux en Belgique sur l'année écoulée), pour notre licenciement.  D'un côté nous regrettons que notre organisation soit ainsi épinglée publiquement, et que cela pourra nourrir certaines réactions antisyndicales primaires, mais d'un autre côté nous espérons que cela pourra aider à faire passer l'idée qu'il y a eu un dérapage, qu'un dérapage peut toujours être corrigé et que l'organisation doit se soigner elle-même, trouver une solution en "adultes" et dépasser ses contradictions.

Il faut reconnaître aussi que sur le plan personnel le combat pour notre réintégration est assez évident.  Le métier de permanent syndical n'est pas un "job" et n'est pas un emploi comme les autres.  On le choisit par conviction, par engagement, et souvent cet engagement est total.  Croire qu'on peut simplement se dire "tant pis" et postuler dans une quelconque entreprise ou ASBL serait absurde. Et encore faudrait-il qu'un patron soit intéressé d'engager un syndicaliste qui ne veut pas renier ses convictions.

Mais de nouveau, ce qui nous motive le plus, c'est que se résigner à notre licenciement, ce serait aussi accepter les licenciements de délégués dans les entreprises, accepter qu'un syndicat soit "une entreprise comme les autres", avec sa logique de pouvoir du haut vers le bas, etc. ... Et si nous sommes devenus permanents, c'est parce que fondamentalement nous ne pouvions l'accepter.

De quoi dépend maintenant votre réintégration?

C'est une question difficile.  La base a, finalement, pu s'exprimer et s'est exprimée pour une solution de réintégration.  Certains s'obstinent à nier cela, par exemple en disant que les assemblées n'étaient pas valables car elles n’ont pas suivi leur ordre du jour.  Je crois que notre réintégration tient maintenant à peu de choses, à un déclic.  Notre responsable de secteur a indiqué ne pas vouloir, pour des raisons personnelles et d'âge, revenir.  La solution d'une réintégration des 4 autres, sans triomphalisme et sans règlement de comptes, est réaliste.

In fine, notre réintégration dépend de la poursuite des réactions venant de la base. Personne ne peut indéfiniment nier la base syndicale.

8 mars 2011
Bruxelles